Eh bien, voilà une bonne chose de faite, ne pensez-vous pas ? On remise tout et on repart... Comment ça, non ? Vous voilà bien péremptoires ! Croyez-vous donc que nous sommes devenus amis parce que vous avez partagé mon illusion ? Bien sûr que je savais tout cela faux. Imaginiez-vous un instant que je tombe dans un piège aussi grotesque ? Vraiment, c'est que vous ne me connaissez toujours pas ! Cette farce - car cela n'était rien d'autre - n'avait pour seul intérêt que de nous dédouaner auprès des nains. C'est chose faite, n'en parlons plus.
Quant à ce qui concerne Aelenor, la vraie j'entends, je lui dois toujours ma malédiction. Rien ne prouve d'ailleurs qu'elle soit en quelque manière liée à cette histoire. Je pourrais - et devrais sans doute - la laisser aux oubliettes de ma vie. Vous savez néanmoins que je ne suis pas homme à négliger les détails. Un barde qui ne serait pas curieux n'en serait point un. Notez donc dans vos petites caboches que je m'engage à la retrouver. Dans l'unique dessein de tirer au clair toute cette dramaturgie, cela va sans dire. Je n'irai pas plus loin, vous avez déjà bien assez profité de cette mascarade.
- On s'en est sortis, et qu'elle expérience ! s'exclame notre fantôme préféré.
- Et pas grâce à tes informations, Aëmys, souligne Aector.
- Sans ma préparation, je gage qu'aucun de nous n'aurait réussi à passer cette épreuve, leur fais-je remarquer.
- Et avec, on n'était pas plus avancé...
- Aector, je n'allais quand même pas vous mâcher tout le boulot...
- Vous pourriez aussi reconnaître votre manque de clairvoyance ou simplement que vous vous êtes trompés, survient Sir Allan.
- Hm, s'il faut cela pour que vous me laissiez en paix, soit. Ma connaissance des coutumes naines n'est pas aussi étendue que je l'escomptais. Vous êtes contents ? Maintenant, ôtez moi ces mines satisfaites et contez moi plutôt ce qui vous est arrivé.
- Vous le conter, certes non.
- Oh, mais pourquoi donc encore ? rouspétè-je.
- Parce que nul verbiage ne saurait le remplacer. J'ai mieux à vous proposer, ouvrez votre esprit et vivez mon expérience comme si vous y étiez !
- Hein ?Sans crier gare, il saute sur moi. Un déluge s'abat alors, qui percute ma peau et agresse mes pores. Je frissonne, je gèle et au milieu de tout cela, je sens sa présence m'envahir. Étrangère, archaïque, mais aussi incroyablement puissante. Une profonde lassitude m'empoigne, égratignée par une très mince lueur d'espoir. La vie s'en est échappée, mais le néant ne l'a pas plus acceptée en son sein. Entre existence et trépas, la frontière semblait infime, elle s'est pourtant étendue jusqu'à n'en plus finir. Pourvu que l'arrivée soit proche. Si tant est qu'elle existe...
Comme vous le voyez, c'est avec fracas que se mêlent nos âmes, bientôt suivies par un enchevêtrement de pensées cacophoniques et de souvenirs éparses. Quelle expérience, vous n'avez pas idée ! J'ose à peine vous la décrire, car elle paraîtra ridicule, je le conçois fort bien. Et pourtant, tenez vous bien, voilà que je revis l'Aktřiâ de Sir Allan comme si j'y étais. En spectateur privilégié, j'assiste à la scène qui se joue devant moi. Oui, vous n'avez pas rêvé. Mais quelle magie que cela ? Rah, ne mimez pas l'habitude, le désabusement, c'est une fantasmagorie des plus invraisemblables qui nous est offerte. Des orcs, oui, des elfes et des fantômes, cela va sans dire, une pierre qui délie et roussit, on y croit aisément, mais une succession vertigineuse d'images permettant à la rétine d'en tirer une animation ininterrompue, telle une épopée orchestrée, voilà pure invention. Fadaises, aurais-je dit, que je me serais royalement trompé !
J'entends déjà vos gémissements d'impatience et d'envie. Vous souhaitez partager mon expérience, mais que nenni. Vous ai-je dit que j'étais un de ces mystérieux magiciens, un maître chanteur capable d'animer la conscience d'un simple coup de sureau ? Non, je ne crois pas, et cela vous semblera aussi absurde qu'à moi, mais je suis fait du même argile que vous. Point de pouvoir, si ce n'est celui de mes mots. Vous vous contenterez donc d'un résumé. Plaignez vous, c'est moi qui le rédige.
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La Compagnie d'Aector
FantasíaJe vous salue tous humblement, vils voleurs, voyeurs et autres rebuts de notre royaume étêté. Je vous mets en garde, vous ne devriez pas lire ce journal, celui de votre illustre serviteur, j'ai nommé le grand Aëmys. L'avoir dérobé vous en coûtera la...