Une lutte de rois

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Oh, mon précieux ! Je l'ai enfin recupéré. Maudis sois-tu, Ëlyias, de me l'avoir dérobé ! Hm, la douceur de ces pages, l'odeur de cette encre ! Que serais-je devenu sans lui, hein ? Et vous, sans moi ? Bah, j'ai lu ses gribouillis... C'est à se demander s'il n'aurait pas mieux valu taire cet épisode, plutôt que souffrir son illettrisme. Heureusement pour vous – et pour moi, cela va de soi – je suis de retour.

Évidemment, cela signifie que leur plan n'a pas été couronné de succès. Savourez donc la justesse de cette pique, le délice recherché de ce mot collant si bien à l'actualité. Oui, jetez cette écriture poubelle, vous reprendrez bien une part de raffinement. Fort bien, me direz-vous, mais cela n'explique pas comment j'ai repris possession de mon bien. Ah, c'est que le factuel a de bons restes... Ne vous tracassez pas, je ne comptais pas garder cette information pour moi. Et maintenant, ouvrez vos mirettes, car voilà ce que j'ai appris de toute cette cacophonie !

J'étais enchaîné, enfermé. J'angoissais de la réalité... Pour sûr, ces vers sont de moi ! Ils n'ont cessé d'errer dans ma tête, lancinante mélodie face à l'ennui. Vous comprendrez mon empressement de les écrire, dans un paradoxal désir de m'en débarrasser sans toutefois les oublier. Ainsi, toute cette trame se produisait sans que je n'en capte une miette. Il y a bien eu cette visite, cet interlude avec le maire du palais, mais c'est bien maigre pour qui a la mission de retenir tous les évènements. Vous ne vous en seriez pas contentés. Et moi non plus. Je mourais d'envie de le connaître, cet ingénu ayant retourné la table, nous accordant une évasion des plus rocambolesques. Inutile de vous exprimer ma déception en reconnaissant dans notre sauveur le même crétin qui nous a foutu dedans !

Ëlyias, oui ! Ça vous paraît délirant ? Alors, vous n'êtes pas au bout de vos surprises. C'est le regard hagard, la posture fatiguée et les vêtements souillés de sang qu'il nous a rejoint au bout de la nuit, sur une butte pas loin de notre triste château. Et là, sans la moindre sollicitation de notre part – pas même de la mienne ! – il est revenu sur cet enchaînement qui nous a menés aux stupéfiantes retrouvailles que voilà.

– Je le savais, mes elfes sont bien meilleurs que vous... a-t-il lancé à son arrivée, sans vraiment sembler nous le dire. Olsÿad, Logalës, Döbyas, Yaëvinn, Weÿlan et Obï. Tous supérieurs. Et tous morts...
– Comment sont-ils... ? ai-je tenté, en vain.
– J'aurais dû être méfiant, je sais qu'il est impossible de faire confiance aux hommes, a-t-il poursuivi l'air de rien.
– Vous ne manquez pas de toupet, s'est fendu, à son tour, Sir Allan d'un commentaire.
– Me refuser le trône qui m'est dû, le donner à cette garce. Quelle infamie, mais ils préfèrent rester entre eux. Bah, qu'importe, ils ont payé leur trahison au prix fort. Et... et moi...
– J'crois qu'il est pas dans son état normal, on d'vrait en profiter pour l'zigouiller, s'est approchée Fìnael, la lame apparente.
– Non, laisse-le divaguer, l'a retenue Aector. Malgré ce qu'il a commis, il mérite une mort digne. Je me refuse à l'assassiner de la sorte.
– Votre noblesse resurgit seulement maintenant, n'ai-je pu m'empêcher de me moquer. Mais vous avez raison, offrons lui de nous raconter ce qui s'est passé.
– Ils doivent regretter maintenant, a-t-il continué, toujours indifférent à notre présence. C'était une magnifique pagaille et une délicieuse vengeance. En rentrant, je ferai renommer un arbre pour chacun de ces héros. Leurs lames ont été si vives, si acérées. Aucune de leurs inutiles armures ne pouvait y résister. Mes splendides guerriers...
– Et les prisonniers ?
– Ah, cette bande de faibles, il aurait fallu que je les laisse les emmener sans rien esquisser ? Mes roseaux, jamais ! Ils peuvent bien dépérir, ces incapables, mais il n'est pas question que cela profite à ce roitelet ! Les gardes, cette équipe de bras cassés, j'ai bien fait de leur jeter dessus Yaëvinn et Obï. J'ai vu leur sang sur les murs, c'était magnifique ! Ils ont rempli à merveille leur mission et sont morts comme des seigneurs...
– Il est drogué ? s'est interrogé Yoruk.
– Totalement frappé, lui a répondu Fìnael.
– Non, c'est de toute évidence la frénésie des combats qui l'a rendu comme ça, nous a appris Aector. Ça arrive parfois, lorsque l'affrontement atteint des sommets d'intensité...
– Dommage que je n'ai pas réussi à transpercer ce vieux débris de Carolius. Et Réva qui a esquivé mon coutelas... Mais les voir détaler, quel plaisir !
– Léanor, elle... elle ?
– La fille d'Aector, hm, je ne me souviens pas de l'avoir vue... Je crois qu'elle s'est enfuie, comme les autres. Oui, c'est ce que m'a rapporté Weÿlan, je crois, avant de tomber à son tour. Ils sont tous morts, les uns après les autres, me laissant finalement seul. Mais c'est normal, je suis leur chef. Mieux, leur roi ! Six de mes gaillards, contre plus de vingt de ces oreilles plates ! Leurs chevaliers n'ont pas mieux tenu que les paysans qui les accompagnaient.
– De toute évidence, leur plan a tourné au vinaigre, s'est réjouie Majora. Nous ferions mieux de filer, avant qu'ils ne nous retombent dessus...
– La décision a été dure, mon œil, est-il reparti de plus belle. Après étude de vos propositions, celle du duc Philippe nous a paru la plus respectueuse de nos intérêts. Je lui en collerai à cet empaffé. Un centimètre plus à gauche, et je le transperçais. Voilà ma proposition ! Je vais retourner auprès des miens et lever une armée entière pour les bouter hors de ce continent. C'est comme ça que ça va se passer !
– Vous êtes sûr de pas vouloir l'crever ? est revenue à la charge notre elfe noire. Un mot, et j'lui fais tâter d'ma dague.
– Grâce à lui, ma fille est sauve, lui a répondu le Credan. S'il persiste, il mourra, mais avec la noblesse de son rang. N'oubliez pas que ses manœuvres nous ont permis de nous échapper.
– C'est vrai ça, comment s'y sont-ils pris pour ôter leurs chaînes ? Les gardes, mes elfes les ont anéantis, mais le métal, ce foutu métal, hein, par quel moyen l'ont-ils brisé ?

La Compagnie d'AectorOù les histoires vivent. Découvrez maintenant