Petite goutte de sang qui perle. Elle dégringole, suivant le tracé rectiligne de la lame. À mi-parcours, voilà qu'elle chute et atterrit dans un éclatant plop sur la dalle de pierre. La pointe de son sabre appuie contre ma gorge, tandis que nous nous dévisageons chacun d'un regard altier.
C'est peut être un peu tôt pour vous, permettez-moi donc de revenir en arrière. Non, non, n'insistez pas, je ne vous en divulguerai pas davantage avant que vous n'ayez pris connaissance des faits. Voyez cela comme une mise en bouche...
- Salut, le gringal', content de me voir ? m'interpelait Aector lorsque vous et moi nous sommes quittés.
- Et... et comment ! lui sautai-je dans les bras.
- À ce point... ? réagit-il, fixe comme un piquet.
- Tant de mièvrerie, ça me donne envie de vomir.
- Ah, vous êtes là aussi, maître Ëlyias, souligna Yoruk.
- Magnifique, nous voilà tous réunis... Et si on remettait à plus tard cette effusion de larmes, avant qu'un autre importun ne se pointe, suggèra assez justement notre meneur retrouvé.
- Je valide.
- On en profitera pour faire les présentations, glissa-t-il d'un clin d'œil, avant que nous déguerpissions tous.Et c'est sous le risible couvert d'une lune éclatante que nous sommes partis. Imaginez notre groupe, se dévisageant avec incrédulité mais ne pipant mot. Ce n'est qu'après avoir pénétré l'immense ruine de feu le château des rois, qu'une fois installés dans la plus reculée des salles obscures de cette ruine, que la pression est retombée. Enfin, plus ou moins...
- Qui est-ce ? s'empressa de demander Ëlyias. Oh, j'imagine encore une créature ô combien essentielle à notre quête...
- Mes amis, voici...
- Je m'appelle Majora, me coupa-t-elle la parole.
- Majora ? C'est un nom cela ou un sobriquet ? persista-t-il. Et qu'est-ce donc que ce masque ? Qui nous as-tu encore débusqué, le scribouillard ?
- Pourquoi ne vous adressez-vous pas directement à moi, agent de la sylve ? Mon identité vous dérange-t-elle ? Est-ce bien mieux de se prénommer Ëlyias ? Permettez que j'en doute. Je suis ici, que cela vous plaise ou non et, sans mon apparition fortuite et heureuse, jamais vos camarades ne vous auraient rejoint. Remerciez-moi, plutôt que d'exprimer toute votre défiance, comme à votre habitude.
- Oh, la bougresse, elle te connaît bien ! le railla Aector.
- Mieux que nous, de toute évidence.
- Et c'est reparti, y alla aussi de son commentaire notre barbu.Oui-da ! Euh, enfin, vous m'avez compris... Et d'ailleurs, montrez-vous un tant soit peu reconnaissants, je vous absous de cette répétition. Nulle surprise, notre mystérieuse voix n'altéra en rien son précédent récit et, hormis Aector et Ëlyias, nous autres n'avons guère prêté qu'une oreille distraite à ses élucubrations. C'est davantage un sentiment de soulagement que je percevais chez mes compagnons, lesquels ne tardèrent pas à lancer une conversation parallèle. Que diable, un peu de légèreté ! Merci à vous, tourtereaux réunis autour d'un ancêtre désuet. Bah, c'est vrai qu'il m'avait manqué aussi ce diaphane bougre, pas vous ?
Il y a tant à raconter, une myriade d'anecdotes à partager et savourer, une aventure complète à livrer. Et pourtant, c'est l'histoire de ce tas de cailloux décrépi que je m'apprête à vous conter. Ai-je entendu le doux son d'un juron s'échapper de votre bouche ? Allons, vous n'auriez pas oublié mon célèbre quintile de questions. Et encore, je me contenterai aujourd'hui du où, déridez-vous !
Cinq cent soixante-huit, la couronne d'Orquécide est créée. C'est une date à connaître, quoique je ne me fasse pas d'illusions, vous n'en saviez rien... Bref, le roi Colovëis est choisi parmi ses pairs pour continuer la lutte. Car, voyez-vous, à ce moment crucial, tout peut encore basculer. L'avenir de l'humanité sur Orquéra est loin d'être assuré. Une seule bataille, un unique combat pourrait nous renvoyer à nos péniches. Toute ressemblance avec ce que nous vivons aujourd'hui serait tout à fait fortuite, bien sûr. Je vous passe ces nombreux affrontements, dont certains résonnent pourtant dans le temps - Austerlia, Dunever et, évidemment, le siège de Port Espéra qui a failli nous être fatal. J'ai peu d'espoir que vous ayez ne serait-ce qu'entendu un jour ces noms. Bah, c'est ainsi ! Justement, ne serait-ce pas avec cette exclamation que l'architecte fit réception de la charge de cet ouvrage ? Difficile de l'en blâmer, lui qui s'attela à donner corps à un tel édifice, pour le voir dépérir presque l'instant d'après...
VOUS LISEZ
La Compagnie d'Aector
FantasiJe vous salue tous humblement, vils voleurs, voyeurs et autres rebuts de notre royaume étêté. Je vous mets en garde, vous ne devriez pas lire ce journal, celui de votre illustre serviteur, j'ai nommé le grand Aëmys. L'avoir dérobé vous en coûtera la...