Sans trève, ni blabla, reprenons. Nous sommes donc alignés sur notre piton relatif, la mine grave au regard du sinistre spectacle qui s'offre à nous. Un instant, j'envisage de nous immortaliser d'un coup de crayon, pour conserver à jamais cette image de notre arrivée en ce royaume déchu. Le temps que je m'imprégne de tout notre environnement, je l'aperçois enfin, ce détail qui n'en est pas un. Ne serait-ce point un village au milieu de toute cette vapeur, un village orc bien évidemment !
– Voyez-vous... ?
– Je n'ai d'yeux que sur ça, me coupe la parole Aector.
– De quoi parlez-vous ? nous interroge notre fantôme favori.
– De cet immondice qui souille ma terre, à seulement deux miles à l'ouest de notre position.
– Il serait judicieux de le contourner, nous en rapprocher ne donnerait rien de bon, suggère Yoruk de sa rocailleuse voix.
– Et laisser cette vermine derrière nous, voilà bien une idée stupide, intervient Ëlyias. Non, passons les par l'épée et soignons notre entrée.
– À quoi bon ? On risque d'y laisser not' peau et pour quel résultat ?
– Nous ne sommes pas une troupe d'intermittents du spectacle – quoi qu'on puisse se le demander – mais une compagnie venue au secours de ces terres meurtries. Et ne me regardez pas ainsi, c'est le mirifique Aëmys qui l'a dit. Le mal qui sévit ici, ce sont ces êtres puants et il nous incombe de les châtier comme il se doit.
– Seuls trois d'entre nous sont des guerriers, soulevè-je, le reste...
– ... N'êtes là que pour le décorum, tandis que nous nous taperons tout le boulot, me rétorque le sylvain. Hors de question ! Vous m'avez vanté ce mélange des genres au service de notre quête. Maintenant, il va falloir assumer.
– Assez ! intervient Aector, avant que je n'aie pu ergoter. Vos divergences me fatiguent et le débat n'a pas lieu d'être. J'ai décidé que nous nous occuperons de ces êtres putrides et chacun s'y emploiera à la mesure de ses moyens.C'est ce qu'on appelle avoir le dernier mot, et nous voilà tous embarqués dans cette entreprise improductive. Vous n'êtes pas d'accord ? Pff, c'est certain que blotti sous une couverture, je serais aussi friand d'une petite baston. Quel divertissement ! Mais venez chausser un instant mes godillots et allez affronter ces bêtes enragées. J'échange nos places quand vous voulez. Ah, je vous entends déjà moins la ramener...
En attendant, c'est bien moi qui me retrouve une fois encore dans la panade, pas vous ! J'ai l'air fin, entouré de ces volutes de fumée disgracieuses, au cœur de cette esplanade de désolation. Et devinez qui, ces braves gaillards – le feuillu en tête – ont choisi comme appât, hein. Évidemment, le scribe de service. Mais pourquoi ai-je accepté ?
C'est donc la peur au ventre, la plume baissée ainsi que le sentiment d'avoir été jeté en pâture que j'avance vers ce bouge informe. Plus que deux cents mètres et j'atteindrai la première de leurs habitations. Est-ce que je panique ? Un tantinet, mais cela suffira-t-il pour me détourner de mes responsabilités ? Que nenni, je vais vous décrire ce bourg infâme et ses habitants, même si cela doit être la dernière chose que je ferais.
Cet habitat se compose à première vue de masures informes. Il serait incongru de qualifier ces immondices de maisons. Sans doute sont-ce davantage des abris, tels les trous à rats où se terrent la vermine de notre société. Je n'aperçois nul toit s'en détachant, pas plus que de murs à proprement parler. Ça ressemble plutôt à une pâte, un lambris de cette terre brunâtre qui souille déjà nos semelles.
Oh, ne serait-ce pas deux de ces animaux ? Pouah, quelle abjection ! Ce qu'ils peuvent être laids, c'est au-delà même de l'entendement ! Quoi ? Vous vous imaginiez ma pomme s'acoquinant avec de pareilles carcasses déconfites ? Non, figurez-vous et prenez le pour acquis, j'ai de bien meilleures fréquentations. Et quelle disgrâce, mon art s'en trouverait à jamais entaché.
Le premier, de la taille d'un enfant à l'aube de son adolescence, est tout rabougri. Sa face est tel un pruneau desséché, zébrée de toutes parts et boursouflée au possible. Ça n'a pas de cheveux, qu'une poignée de poils hirsutes hérissés en tout sens. À peine dissimulé sous un mélange d'oripeaux craqués, son corps forme une voûte maladroite. À côté, se tient plus fièrement un espèce de taureau mal encorné. Ce golgoth représente manifestement davantage la harde guerrière de sa race, tout en conservant son ignominie. La bête revêt de puissants muscles, sous un épiderme à la frontière entre le marron et le gris. De longues dents effilées s'exhibent hors de sa mâchoire, prêtes à déchiqueter le pauvre hère qui, par malheur, croiserait sa route. Ah, tiens, je crois qu'ils viennent de me remarquer...
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La Compagnie d'Aector
FantasyJe vous salue tous humblement, vils voleurs, voyeurs et autres rebuts de notre royaume étêté. Je vous mets en garde, vous ne devriez pas lire ce journal, celui de votre illustre serviteur, j'ai nommé le grand Aëmys. L'avoir dérobé vous en coûtera la...