Duel au sommet

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– Qui c'est ? demande Fìnael en pleine course.
– Majora... enfin, Aelenor, répondè-je, haletant. Ce sont les mêmes, elle se dissimulait sous ce masque...

Aucune réaction de la part de l'intéressée, qui maintient l'allure dans un escalier en colimaçon censé nous mener vers Aector et Mylan. C'est d'ailleurs sa magie que nous suivons, laquelle a le bon goût de jouer le rôle de boussole dans ce tortueux labyrinthe. Imaginez une lumière qui scintille pour vous indiquer la juste direction, n'est-ce pas formidable ? C'est que vous vous enthousiasmez de peu. Désolé, je n'ai pas le cœur à m'émerveiller de pareilles fantaisies.

À cet instant précis, je suis pleinement submergé par le doute. J'imagine, mes camarades aussi, hormis peut-être Aelenor qui fait la course en tête. Même elle, ses motivations restent un mystère. Quant aux miennes, aux nôtres – hein ! – elles étaient autrefois si limpides. Et maintenant... Ai-je entrepris ce périple pour rien ? C'est ainsi que vous le résumerez, lorsque ce piètre bouquin servira de supplétif aux bûches de votre foyer. Est-ce de cette façon qu'on parlera d'Aëmys, comme d'une piñata sans jouet ? Serais-je bientôt la risée de toute ma confrérie pour avoir livré un couplet inachevé ?

Que ma plume se brise, cela ne se produira pas de mon vivant ! Mais alors, quelle direction prendre ? La bonne, pardi ! Celle qui vous fera clore ce recueil en vous gardant estomaqué, le souffle court et l'impression qu'un pan entier de votre vie s'achève. Un peu comme moi, à vrai dire... Et pourtant, de toute évidence, Aector nous a joué un mauvais tour. Hors de question, vous en convenez, de le conserver comme allié. Se pourrait-il alors que ce soit ce bébé monarque ? Hm, je ne sais pas quel avis il vous a escroqué, mais sa frimousse ne m'enchante pas davantage. Il ne resterait personne, concluriez-vous ? C'est donc que votre serviteur et ses amis ne comptent que pour du beurre ? Certes, ce n'était pas là le projet initial, mais qu'y puis-je ? Préférez-vous que j'abandonne ? Vous n'auriez donc pas retenu la leçon du dix-neuvième chapitre ? Quelle surprise !

Cette terre, autrefois nôtre, n'est plus que cendre et laideur ; notre peuple, si conquérant et fringant, a été massacré puis ostracisé ; les nains, fiers bourlingueurs des montagnes, se retrouvent en proie aux flammes, tandis que nos refuges se muent en mouroir pour créatures insolites. Et voilà que même les plus abjects monstres, immondes bêtes aux cornes effilées, disposeraient d'une analogie de notre humanité. Orquéra, ce Continent exotique, deviendrait-il terre de chaos ? Ni Aector, ni ce freluquet de Mylan ne l'empêcheront de sombrer. Alors, il faudra bien que quelqu'un s'y colle, n'est-ce pas ? Et pourquoi pas vous, hein ? N'en avez-vous pas la carrure ? Outch, non, ne désertez pas, je vous taquine ! J'ai bien conscience qu'il n'y en a qu'un à qui cette tâche pourrait revenir, ne vous inquiétez pas ! Heureusement que je ne suis point seul...

Et comment vais-je m'y prendre ? Pas la moindre idée. C'est là tout le sel de l'improvisation, mes loustics !

Nous débouchons sur une grande place à ciel ouvert. Dès lors, tout part à vau-l'eau. Il semble qu'une armée nous tombe dessus. Dans la furie des combats, Yoruk et Fìnael sont vite éloignés de nous. À peine ai-je le temps de déceler quelques coups de hache et sifflements de dagues elfiques, que les voilà qui disparaissent de mon champ de vision. Je suis malheureusement trop occupé pour m'en soucier réellement. Car, dans notre fuseau, ça barde également. Aelenor, maniant son épée avec la plus grande dextérité, nous préserve un temps du pire. Je crains que cela ne dure...

– Aëmys, ne reste pas planté là, prend une arme et aide-moi ! me crie-t-elle finalement.
– Ael...
– Ferme-la et fais ce que je te dis, ou nous y passerons tous !

Eh bien, il n'y a pas de doute, elle est de retour ! Voyez comme elle me traite, pauvre ménestrel que je suis. Je cède néanmoins et, agrippant un coutelas ou je ne sais quoi, tente de l'appuyer de mon mieux. J'engage alors la lutte avec un des soldats du roi. Mais de quoi ai-je l'air, hein ? Dans mes oripeaux défraîchis et déchirés, ma chemise saccagée et souillée de tout le sang de nos poursuivants, les cheveux ébouriffés et la barbe mal taillée, je me dresse tel le spadassin face à la barbarie. Mes coups sont gauches, mal amenés et d'une faiblesse incroyable. C'est à peine si je les assène à mon adversaire plutôt qu'à moi-même. Mais quel discipline pathétique ! Au moins cette danse a-t-elle pour plus-value de délivrer ma comparse d'une lame, lui en laissant le ridicule nombre de trois à parer...

La Compagnie d'AectorOù les histoires vivent. Découvrez maintenant