Joute révée

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Je doute que vous ayez remarqué, mais au cas où un tel miracle se serait produit, je vous arrête de suite. Il n'y a point de faute dans ce titre, ce que vous comprendrez - je l'espère - relativement vite...

Laissez-moi vous planter le décor. Oh non, pas encore ? Eh, bien sûr que si, je ne me permettrais pas de vous garder dans le noir. Allez, soufflez, ce ne sera pas aussi longuet que la précédente fois, et nettement moins sinistre également.

Première information : la lumière, il y en a partout. De quoi nous changer de nos sempiternels trous à rats. C'est une immense salle, aux proportions semblables à Arasmée - l'édifice, pas feu sa locataire - quoique en tout autre point différente. Ici, la chaleur et la clarté rendent l'endroit agréable. De grosses colonnes, d'une pierre nacrée, amènent le plafond à une quinzaine de mètres. En dessous, s'amoncellent de longues tables rectangulaires, d'immenses draperies aux teintes azure et verte et un parterre de gens, nobles et bourgeois aux vêtements élégants. Au pied d'un court piédestal, orné d'un simili trône, où siègent le Credas Philippe et sa compagne, se massent ces spectateurs. Qui regardent-ils ? À votre avis ? Évidemment que j'en suis, mais c'est celle qui me donne la réplique qui vous étonnera. Sans doute pas autant que moi. Elle est menue, tout en étant charnue là où il convient de l'être, belle comme un cœur, sans toutefois en disposer, et blonde comme une lionne qui se serait perdue dans le monde des hyènes. Vous l'aurez deviné, voici Réva pour me défier...

- Ah, j'adore ça ! Que le duel commence ! s'enthousiasme notre hôte.
- Merci, Philippe, s'empresse-t-elle de commencer, me coupant l'herbe sous le pied. Oh, ne sois pas étonné, c'est ainsi que ça fonctionne pour les habitués. Pour vous, les saisonniers, il faudra montrer plus de déférence. Pardonne-moi, j'en oubliais mes devoirs. Mes chers amis, voici Aëmys en représentation à mes côtés. Savourez tous cet instant, il est suffisamment rare pour être noté. Voilà bien des années qu'il s'était tu, gageons qu'il en fera à nouveau de même après avoir perdu.
- Ne te précipite pas, je ne suis pas encore vaincu, lui rappelè-je, ayant enfin l'occasion d'en placer une. C'est un peu cavalier d'attaquer dès les présentations, mais cela te ressemble bien. Et de telles familiarités auprès de la noblesse, n'oublie donc pas ta place, Réva.
- Justement, j'attends encore que tu me présentes les respects dus à mon rang.
- Mais tu n'es...
- Oui, baron de Karinas, soumets-toi à la comtesse Réva !

Les acclamations fusent du public. Outch, quelle piètre entrée en matière !

- Cela fait un point pour dame Réva, nul ne le contestera, commente le Credas.

Bon, marquons une pause, tout du moins littéraire, pour que je vous explique cette affaire. Je vois bien, à votre air ahuri, que vous n'y comprenez rien. À se demander ce que vous organisez pour vous divertir... Bref, faisons la courte, que je retourne rapidement dans le match corriger cette malotrue. Trois points, c'est ce qu'il faut pour l'emporter. Comment les glaner ? Rien de bien compliqué, ce concours d'éloquence récompense celui qui parvient à clouer le caquet de son opposant. Autrement dit, voilà une épreuve absolument hors de votre portée. Aparté terminé, il est temps de répliquer !

- Tu m'impressionnes, Réva, il t'aura fallu quelques années, mais tu y es enfin arrivée !
- À quoi, te ridiculiser ? répond-elle, sans grande surprise.
- Non, à t'exprimer, ce n'était pas gagné.
- Tu parles du temps où nous étions tous les deux en quête de gloire ? Tu m'excuseras, je crois m'en être mieux sortie que toi. Oui, à l'époque, je marchais dans tes pas. C'est que tu avais une petite renommée. Elle est vite retombée. Vois aujourd'hui ce que tu es devenu. Qui, ici, te reconnaît, se souvient d'un de tes écrits ? Et je ne parle même pas de ton apparence, on dirait que tu as erré jusqu'au Royaume Étêté et que tu en es revenu. Désolé d'être aussi crue, mais tu es laid et tu pues !

La Compagnie d'AectorOù les histoires vivent. Découvrez maintenant