Qui est-elle ? Cela fait deux jours que nous nous sommes éclipsés des oubliettes du Credas, et je n'ai toujours pas plus de réponse à vous apporter à cette question. Un mystère plein et entier entoure cette femme. En est-ce d'ailleurs une ? C'est mon intuition, mais impossible de le certifier. Sa voix métallique pourrait tout aussi bien être celle d'un homme que la magie aurait altérée. Sur ce point, j'ai certes moins de doute, car elle – j'en resterai au féminin, dans l'attente d'un avis contraire – en a fait usage à deux reprises déjà. Pour nous délivrer, vous ne pouvez l'avoir oublié, puis pour maquiller nos silhouettes à la sortie du donjon. A-t-elle un nom ? Elle s'est bien gardée de nous le confier, alors ! Un physique ? On-ne-peut-plus dissimulé sous une enveloppe noire et opaque. Plus intriguant encore, c'est ce masque qu'elle ne quitte jamais. Un éclat violet se dévoile au soleil, lorsque ses rayons se reflètent dessus. Pour le reste, il a été forgé, sans que je ne puisse vous révéler dans quel matériau. Des stries noires le zèbrent aléatoirement, qui dénotent avec sa teinte argentée. Enfin, un sourire et deux fentes pour les yeux lui confèrent une physionomie humaine, mais n'apportent aucun indice supplémentaire sur ce qui se cache dessous...
Alors que fais-je à la suivre ?! Tempérez vous, messieurs ! Il est indéniable que vous m'êtes mille fois plus agréables que ce crétin de Philippe, mais sachez néanmoins vous en tenir à votre place. À votre curiosité, je rétorquerai simplement ceci : Elle ne m'inspire pas plus de défiance que de confiance. Tant que la balance demeure ainsi, je préfère me dire qu'elle est une alliée potentielle. Au point où on en est, il nous serait de toute façon difficile de faire la fine bouche...
– Cet après-midi, nous changerons de planque, indique-t-elle, après avoir scrupuleusement observé l'extérieur. Vous sentez-vous de vous déplacer ?
– Par ma barbe, oui-da ! Ils ne m'ont pas cogné assez fort pour entamer mes muscles, alors je peux marcher.
– Bien, maître nain, je n'en attendais pas moins d'un membre de votre espèce. Qu'en est-il de vous deux, Aëmys ?
– Je n'irai pas bien loin. Quitter ce château constituait déjà un exploit pour moi, dois-je reconnaître. Quant à Fìnael, elle est encore plus mal en point. Il faudra la porter...
– Je m'en chargerai, se propose évidemment Yoruk. Elle ne pèse pas bien lourd, ma petite Fìn'.
– Le mieux serait d'user une fois encore de vos pouvoirs, proposè-je.
– Hors de question, il faudra se débrouiller sans magie, refuse-t-elle catégoriquement.
– Pourquoi cela ? Ce serait plus simple...
– Je n'en doute pas, mais c'est impossible. Sans rentrer dans le détail, mes pouvoirs ne sont pas illimités et, de plus, ils laissent une trace qui révélerait notre position, ce qui est contraire au but recherché. Nous ferons donc sans.Aïe, quel sacré caractère ! Vous trouvez, vous aussi ? C'est que ça manquait dans notre équipée... En parlant d'elle, justement, je me demande bien comment se portent Aector, Sir Allan et, dans une moindre mesure, Ëlyias. Le temps des retrouvailles nous guette, mais seront-ils présents ? Rien n'est moins sûr. Lorsque je pense que nous avions hérité de la tâche la plus aisée, c'est peu de dire que je m'inquiète pour eux. Notre héros sera déçu. En plus d'avoir perdu un ami, il s'en est fait un redoutable ennemi, sans compter que je rentre bredouille de tout enseignement utile. Dans cette situation, j'espère que vous comprenez l'attachement que j'apporte à ce masque et à celle qui se dissimule derrière. Elle représente l'unique point positif de notre embardée. Prions pour qu'elle le soit réellement...
– Où comptez-vous nous emmener ? la questionnè-je, jugeant venu le temps des éclaircissements.
– Dans une autre chaumière.
– Et où se trouve-t-elle ? continuè-je.
– Là où je le jugerai bon.
– Autrement dit, nous sommes à votre merci, saisis-je.
– C'est bien possible, admet-elle. Mais peut-être préféreriez-vous que je vous abandonne à votre sort ?
– Certes, non, mais je pense que mes camarades apprécieraient, comme moi, de ne plus naviguer dans le brouillard.
– Hm, j'imagine que je peux vous autoriser quelques réponses, mais soyez concis, je ne tiens pas à ce que l'on s'éternise ici.
– Fort aimable. Pour commencer, avez-vous un nom ?
– Comme tout un chacun ici bas, je présume, mais je ne vous le divulguerai pas, rétorque-t-elle, placidement. Pour raison de commodité, appelez moi Majora.
– Que dissimulez-vous sous ce nom et ce masque ? poursuit Yoruk, non sans une pointe d'agressivité. Chez les miens, ne pas se présenter est particulièrement mal poli.
– Cela tombe bien que nous soyons loin de vos terres, alors. Je n'ai nulle obligation de vous faire part de mes raisons, tout comme j'aurais pu vous laisser croupir dans cette geôle, ne l'oubliez pas.
– Justement, pourquoi ne pas l'avoir fait ? enchainè-je. Vous sembliez au service du Credas, je vous ai vu à son festin. À moins que ce n'ait été un autre, aussi déguisé que vous. Et voilà que vous le trahissez pour nous venir en aide, reconnaissez qu'il y a de quoi être suspicieux...
– C'est certain et, oui, il s'agissait de moi, avoue-t-elle, tout en continuant de regarder au dehors, derrière un épais rideau. Les cavaliers sont passés, nous avons une fenêtre de sortie et il n'est pas question que nous la loupions. Je vous confesserai donc seulement cela : Philippe m'a chargé de vous faire évader et de vous escorter jusqu'à Aector, pour mieux vous dénoncer par la suite et que lui et ses hommes vous tombent dessus. Évidemment, chose que je ne ferai pas.
– Et vous pensez qu'on va vous faire confiance après cette révélation ?! m'insurgè-je, outré.
– Ah, la confiance, difficile à accorder et à conserver, n'est-ce pas, Aëmys ? me vise-t-elle. Un peu comme l'honnêteté, une qualité qui tend à se raréfier. Libre à vous de me suivre. Pour ma part, je m'en vais...
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La Compagnie d'Aector
FantasyJe vous salue tous humblement, vils voleurs, voyeurs et autres rebuts de notre royaume étêté. Je vous mets en garde, vous ne devriez pas lire ce journal, celui de votre illustre serviteur, j'ai nommé le grand Aëmys. L'avoir dérobé vous en coûtera la...