Entretien malin

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– Encore une fois, belle prestation que celle que vous nous avez livrée, Réva et toi, me félicite à nouveau le Credas.

Cela ne vous aura pas échappé, la fête s'est calmée et il convient, dorénavant, soit d'en récolter les fruits, soit de cultiver moult regrets. J'ai volontairement laissé Fìnael et Yoruk au moment de rejoindre le cabinet où nous allons nous entretenir, le gouverneur et moi. M'est avis qu'ils ne m'auraient de toute façon pas apporté grand chose durant cette phase. Ailleurs, en revanche, leurs compétences pourraient se révéler fort appréciables, en particulier en ce qui concerne notre elfe noire. J'ai peu de doute sur sa capacité à collecter d'utiles renseignements dans ce palais, si tant est qu'on laisse libre cours à sa créativité.

– Il semble que vous l'ayez en haute estime, lancè-je innocemment.
– Elle s'avère utile, tant pour distraire les foules que pour servir mes propres desseins.
– Ah, je ne m'attendais pas à une telle franchise de votre part, répondè-je, intrigué.
– Pourquoi le cacher ? Réva n'est pas la plus talentueuse des bardes, elle n'a ni ta prose, ni ton don pour convaincre. Je vais être honnête, tu lui étais bien supérieur tout à l'heure, mais elle dispose d'autres arguments qui la rendent indispensables. Je ne vais pas te faire de dessin, je pense que tu vois de quoi je veux parler.
– Oh que oui, malheureusement, soupirè-je, bien placé pour savoir de quoi il en retourne.
– Là n'est pas le sujet, évoquons plutôt les propos que tu as tenus lors de ce duel.

Je m'attends à une suite, à ce qu'il me questionne, mais non. Il en reste là, me laissant un peu coi. Je le dévisage, l'observe pour tenter de mieux le cerner. Il est vrai qu'Aector et lui se ressemblent, à cette différence près que l'un s'est maintenu en position lorsque l'autre a subi les ravages du temps et de la perdition. Finalement, il n'est pas improbable qu'ils aient été amis. Un blond et un brun, le même regard perçant. Un instant, je m'amuse à les imaginer luttant l'un contre l'autre. Aector a pour lui d'être un escrimeur hors pair, mais la famine a eu raison d'une partie de ses muscles. Philippe, a contrario, n'a pas connu la disette et peut-être un peu abusé du confort de sa lande. Sa carrure lui confère toutefois un certain avantage. Libre à vous de choisir, mais je mettrai quand même ma pièce sur le Credan.

– Penses-tu que nous ayons une chance de bouter ces hordes hors de nos terres ? reprend-il finalement de sa voix grave et pesante. Le penses-tu vraiment, je veux dire.
– Je ne me serai pas aventuré à l'évoquer si tel n'était pas ma conviction profonde. Plus encore si vous nous prêter le concours de vos troupes.
– Je ne saisis pas, à qui les confierais-je ? À toi ? Tu es le premier à reconnaître ton inaptitude en ce domaine. Serait-ce alors à ces deux créatures qui t'accompagnent ? Ça ne marcherait pas davantage. Les hommes doivent être guidés par leurs semblables, j'en suis convaincu. As-tu d'autres amis qui pourraient remplir cette fonction ?

Oh le bougre, il n'est pas mauvais pour tirer les vers du nez. Je ne peux cependant pas tout lui révéler, pas encore. Il est trop tôt et je ne l'ai pas assez travaillé pour ne point m'en méfier. Remarquez néanmoins le dédain qu'il affiche eu égard à mes partenaires. Il n'y a pas à dire, les similitudes s'accumulent entre les deux consuls. Encore que mon interlocuteur manie la logorrhée avec une dextérité étrangère à notre meneur.

Je soupèse ma réponse, en cherchant qui ne soit ni preuve de défiance, ni aveu d'insouciance. Cette pièce est confortable, elle invite à se livrer sans se méfier. Une salle d'interrogatoire ordinaire, deux chaises séparées d'une table, aurait éveillé ma vigilance. Ce n'est pas ce genre d'endroit. Je suis à l'aise dans mon fauteuil rembourré, je ne lui fais même pas face. Philippe est sur mon côté gauche, lui aussi assis dans une posture officieuse. Au sol, une authentique fourrure d'ours invite à se prélasser, tandis que les paysages accrochés aux murs – dont certains ne seraient plus reconnaissables, de nos jours – sont sujet à l'évasion. Que feriez-vous à ma place ? Lui accorderiez-vous votre confiance ou demeureriez-vous frileux ?

La Compagnie d'AectorOù les histoires vivent. Découvrez maintenant