L'hospitalité d'Arasmée

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– Merci !

Ça y est, et sans même dépenser un sou, me revoilà chargé en encre. Mille excuses pour le chapitre dernier. Il est une injure à l'art, au style et plus encore à ma personne. J'espère que vous discernez néanmoins son caractère indispensable. Sans ces piteux mots lâchés, j'aurais trahi ma promesse et profession de foi, celles de vous instruire sur l'avancée de notre quête.

Quoi qu'il en soit, nous voilà bel et bien arrivés à Arasmée. À quoi ressemble-t-elle ? Eh, je dirais en premier lieu à un bourg, niché aux abords de la montagne et au cœur de la forêt septentrionale du royaume Étêté. Ici, point de huttes perchées aux cimes des arbres, ni de paniers de fruits aux portes des maisons. Non, les elfes des montagnes ne sont pas comme leurs cousins de la sylve. Ils ont appris les bienfaits de la civilisation. La maçonnerie ne leur est point inconnue, tout comme l'ébénisterie ou la métallurgie. En somme, et si cela n'a toujours pas fait tilt dans vos cervelets, ils sont comme vous et moi, ils logent en dur, dans de robustes maisons aux toits et portes solidement arrimés.

En second lieu, car oui il y en a un, à une elfe millénaire, à la silhouette et au tempérament dignes d'une panthère. Mais pourquoi donc porte-t-elle ce nom ? N'y-a-t-il pas la moindre chance que vous le deviniez ? Pas même un zeste succinct de soupçon d'espoir que cela vous effleure l'esprit ? Voyez-vous donc, elle dirige ce village. Mieux, elle l'a créé !

– Cela n'est qu'une avance pour votre prestation, me répond-elle, tandis que mes compagnons écoutent à côté, hormis Yoruk, lequel n'a étrangement pas daigné se montrer. J'espère que votre réputation n'est pas surfaite, car j'attends le meilleur pour notre célébration de ce soir. Chauffez vous la voix, aiguisez votre plume et réveillez votre créativité. Rien ne sera trop beau pour cette soirée. Il y a cent ans, la première pierre de cette demeure était posée, je ne tolérerais aucun raté.
– Vous pouvez lui faire confiance, l'art est son seul domaine, lui sourit Ëlyias, le regard mièvre.
– Ah ça, parler et chanter, il sait y faire ! rebondit Aector. Voilà un don qu'il maîtrise à la perfection. Vous ai-je dit que c'est ainsi qu'il nous a tous réunis ?
– Ah, enfin le reconnaissez...
– L'ami, ne devriez-vous point vous préparer ? me coupe sans vergogne le feuillu, tandis que s'en va notre hôte, déjà suivi par notre héros.
– Je... je...
– J'espère pour toi que tu seras plus inspiré toute à l'heure, me lance-t-il à nouveau. Ce serait si dommage de donner mauvaise impression. Et devant notre roi. Quel drame !

Croyez le ou non, mais je reste coi, incapable de répliquer ne serait-ce qu'un verbe à son endroit. Je les observe s'en aller, le caquet rabattu, la mine défaite. J'ai l'envie de me rebeller, de tout envoyer valser, mais pour quel résultat, hein ? Un camouflet est un camouflet. Je le mérite si je ne sais que rétorquer. Oui, vous avez bien lu ! Je dois divertir ces oreilles pointues, tel est mon rôle, voilà tout.

Le pas lent, je quitte donc le salon où l'on nous a reçus et m'en vais trouver un havre où composer. Mes compagnons sont partis sans moi et c'est tant mieux. Parfois, il est agréable d'être seul, sans personne pour vous juger. Argh non, je ne vous ai pas oubliés. Comment le pourrais-je d'ailleurs, avec vos continuelles jacasseries ? Admettez simplement que votre jugement n'est pas le leur. Comment dire, il est moins...

Hm, je n'ai pas grande inspiration. Il y a des jours comme ça. Malheureusement, ce ne devrait pas être le cas aujourd'hui. À crapahuter, j'aligne les vers par milliers. Pourtant, lorsqu'il s'agit de travailler, me voilà sec et ruiné. Je dois me remuer la caboche, je ne tiens pas à foutre en l'air tant d'années au service de l'art. Mais quel manque d'envie, la plaie ! Qu'une solution alors, me balader et laisser vagabonder mon esprit. Oui, je ne vois que ça.

À m'escrimer mentalement, je n'ai même pas remarqué sortir du manoir d'Arasmée. C'est une grande bâtisse aux murs froids et imposants. Dans le décor hivernal, son teint gris et sa haute stature dénotent. Son emplacement sur une butte dominant la forêt accentue cet effet, tant et si bien qu'il en découle une paradoxale évidence. Ce lieu était fait pour accueillir pareil monument et telle construction ne pouvait s'ériger qu'ici. On reconnaît la patte des elfes des montagnes. L'opulence naine cède face à l'austérité attribuée à cette variante d'oreilles pointues. On les dit sombres et méticuleux, il est vrai que c'est une race qui ne fait guère parler d'elle. Cloîtrée dans son versant, elle ne s'exporte pas grandement. Finalement, elle semble aussi chaleureuse que ne le laisse présager la pâleur de ses traits.

La Compagnie d'AectorOù les histoires vivent. Découvrez maintenant