Partie 1 : Retour en Ce-Fran

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# Ce jour là, je sortais du tro-mé, ligne 13, station Pleyel. Avec toujours cette réflexion inconsciente et stupide de la manière dont je devais en sortir: escalators ou marches? La facilité pris le dessus, comme à quasiment chaque fois. Une minute plus tard, ma paire de Nike tutoyait le ter-ter de ce quartier un peu chelou entre cité et entreprises. Le froid me fouetta le visage. Je sortis mon écharpe que j'avais rangé dans mon sac et l'entoura autour de mon cou, en faisant gaffe à ne pas arracher les écouteurs de mes oreilles. Quel casse tête! C'est bon, j'étais prête. Je pris une grosse inspiration, et commença ma marche dans l'avenue qui avait changé depuis mon départ aux States. « Scarface » était mon délire du moment malgré les lyrics explicites sur nous, les meufs. Booba se la joue cainri. Tatoué, musclé et marketté, c'est clair, mais il domine depuis mon retour le rap game... Une présence brouillait mes pensées depuis quelques secondes. Je levai ma tête. Un monstre de voiture avançait à la même allure que moi, et son conducteur me faisait des signes par la fenêtre qu'il avait baissée. Un métisse, yeux clairs, crâne rasé, sourire Vademecum... Pas mal. Je pris mon I-Pod et baissa le volume à fond. Il écoutait lui aussi Booba « Si le monde est à moi, le monde est à nous, Scarface, les autres en face sont jaloux... ». Ok mec. T'es mignon, mais faut que j'avance! Sauf qu'il n'avait pas l'air de lâcher le steak! Il alluma ses warning, sortit de son énorme 4x4 et se dirigea vers moi, la musique toujours à fond derrière...

- « Eh feumeu, me fait pas courir, j'ai besoin de toi !
- (Arrachant un de mes écouteurs de l'oreille, genre, même si j'avais enlevé le son) Salut. On se connaît ?
- Pas du tout, je suis pas d'ici, et je dois aller à la mairie de Saint Ouen.
- Ah ben t'y es presque, t'inquiètes, c'est tout droit.
- Tu veux pas m'accompagner s'teuplait? Je te dépose où tu devais aller. Franchement j'ai tellement tourner que je sens que je vais devenir ouf si je me perds encore.
- Euuh... Ok. Ca marche... »

A ce moment, je me demandais vraiment ce que je faisais. Oh, Nawell, tu le connais pas! Dis lui qu'il se démerde seul, et trace ta route. « Entrer dans ton cerveau, sans effraction, te faire aimer le mauvais garçon... » Booba avait terminé sa «Poésie trash», en attendant, moi, je rentrais dans une voiture sans conviction avec s'il le faut un mauvais garçon! Il venait de fermer sa portière, arrêta le poste, et commença direct à discuter. De tout. De rien. Il me demanda comment je le trouvais, je lui dis que j'avais pas à lui trouver quoi que ce soit, mais que si y'avait bien un truc qui me répugnait, c'était ses boucles d'oreilles bling bling en veut tu en voilà! Ca l'avait fait golri. On passa devant la mairie, puis je lui indiquai où je voulais aller. Cinq minutes plus tard, on y était. Il me tendit son BlackBerry, je lui mis un stop, puis je sortis. J'avais le sourire aux lèvres. Lui, la surprise de ne pas avoir mon 06. Il avait pas l'air si mauvais que ça au final ce « Nasser », au contraire, il était tchatcheur et plutôt culotté. Enfin bref, encore un de ces mecs du 93, décidément avec eux, j'en aurait vu. En marchant, je rangeai mon I-Pod. Quelques pas plus tard, j'y étais... « Bismillah ». J'entrai dans ce sinistre endroit. Ca faisait des mois que j'y avais pas mis les pieds, et chaque pas que je faisais était un effort de malade. Comme si je marchais dans de la boue. Chaque regard que je posais autour de moi était un crève cœur. Autant presque regarder le soleil en face en plein été. Mais j'arrivai à destination et me mit à genou. A genou devant cette plaque de marbre, dont je ne distinguais plus les lettres de son prénom, de notre nom, salies par la terre, la poussière, les feuilles... Une vie s'arrête, et puis la Vie continue. Alors je sortis un mouchoir de mon sac et la nettoya. J'étais arrivée devant la tombe d'un de mes aimés, dans le cimetière communal de Saint Ouen. Je frottais, et frottais encore. Sans m'arrêter. Les larmes coulant sur mes joues, que j'empêchais de tomber à terre en les essuyant avec la manche de mon manteau de haute couture. Comme si je ne voulais pas qu'il sache que je pleure. Mais c'est la voix triste puis au fil et à mesure étranglée que mon discours se déroula...

« Salam alaikoum fréro. C'est Nawell. Je sais pas quoi te dire pour justifier cette absence, je te jure, j'sais pas... Ca fait un an maintenant que je ne suis pas venue, et d'ailleurs, ça se voit. Mais t'inquiètes pas, je vais venir plus régulièrement si Dieu le veut. Une année de dingue s'est passée. Tu te souviens quand on était petit et qu'on regardait Snoop Dog, Nas à la télé ? On se disait qu'on irait nous aussi la bas ! Bon ok, tu disais que toi, tu irais, et que tu me ramènerais une carte postale... Ben j'y étais fréro, j'y suis allée. Rien n'allait ici tu sais, ou je ne voyais rien de bon, qui sait. En tout cas, fallait que je m'en aille. Et puis, au même moment, on m'a proposé d'être fille au pair, ça me permettait d'améliorer mon anglais et de voir autre chose. Finalement j'ai pas suivi les cours, la famille parlait en français. Je suis de retour depuis pas longtemps. J'ai pas réfléchi mon départ, il s'est fait sans préparation. Tu m'aurais pas laissé partir, c'est clair, je sais, Maman m'a dit la même, et puis elle était inquiète... Et puis, je suis partie, la laissant les larmes aux yeux... Et puis, je suis de retour, et j'ai peur de ne plus les voir... J'ai peur du plus les revoir, ses yeux...

Je n'arrivai plus à contenir le flot de larmes avec le seul passage de ma manche sur mes yeux. Je cherchai un autre mouchoir, mais je me rendis compte qu'en parlant, je les avais sortis un par un pour nettoyer encore et encore la tombe de mon frangin. Ils étaient là, éparpillés autour de moi. Je fouillai dans mon keuss et en trouvai un, déjà utilisé. Pas grave. Je me mouchai et pris de grosses inspirations. Il m'arrivait quoi ? Il m'arrivait quoi à m'effondrer comme ça ? Journée étrange qu'il fallait que je boucle au plus vite.

... Bon kho, je pars. Je reviens vite in shaa Allah. Faut que je te parle d'un truc, c'est à propos de maman, mais là j'y arrive pas... Qu'Allah te couvre de Sa Miséricorde. Qu'Il t'offre une demeure dans Sa Demeure et qu'Il nous réunisse dans Son Paradis. Amine. Salam alaikoum »

Je mis tous les mouchoirs dans mon sac, me dépoussiérai les genoux, sortit du cimetière... Et m'arrêta net ! Le type au 4x4 était là, appuyé contre la voiture. Il avait enlevé ses boucles d'oreilles. Chelou. Il me proposa de me ramener, mais j'avais pas envie de communiquer avec qui que ce soit. Je regrettais même de ne pas avoir perdu la parole en sortant du métro et d'être monté dans sa voiture. Ce qui est fait est fait. Je déclinai gentiment sa proposition, et je rejoignis ma bonne vieille ligne 13. En m'engouffrant dans le métro, les yeux rougis et brûlants, je remis mes écouteurs. Je repensai à la musique de tout à l'heure. Booba, j'avais eu l'occasion de le rencontrer avant de partir aux States, quand j'étais dans mon école de journalisme et que je taffais en même temps pour un mag' à Saint Denis. C'était l'époque où il faisait Panthéon. C'est pas le même aujourd'hui, depuis, il a pris du muscle, de l'assurance et fait de la musique à l'américaine. Tout le monde change, part, devient ce qu'il devient. Une vie s'arrête, une autre prend cher, et puis pour d'autres, elle continue...

Chronique de Nawell : Plume de la StreetOù les histoires vivent. Découvrez maintenant