Partie 13

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Tout finit un jour par avoir un sens. Même les choses auxquelles on n'en cherchait plus...

Toulouse Matabiau, ici Toulouse Matabiau. Terminus du train. Je prends la valise de Maman et on descend. Avant-hier, elle a encore fait un malaise. Bilan : elle doit se reposer ! Sauf qu'elle se repose pas : madame va faire les courses, fait le ménage trois fois par jour, va aider les voisines ! J'en ai eu marre et j'ai prévenu mon cousin de Toulouse que j'allais lui laisser Maman quelques temps. Ils s'entendent à merveille, et sa femme la considère comme sa propre mère. Maman descend souvent depuis que mon cousin est parti vivre là bas, je sais qu'elle se reposera vraiment et oubliera sa routine. Pour ma part, je repars demain : ma patronne avait besoin de moi, mais elle m'a donné quelques jours pour quand j'irais la chercher, je pourrais profiter un peu in cha Allah. On arrive à Empalot, où mon cousin Mouhssin habite. On se croirait presque à la maison mais avec l'accent ! Je suis fan ! Des -ong, des -ing, des -ang à tout va, et leurs expressions chelous : « Eh vas y nachave sale botch ! », « Oh putain con, t'es pété du casque toi ! » Je suis morte de rire ! Mais y'en a un c'est le must : chaque fois que j'y vais, il est là, planté sur une chaise pliante au beau milieu de la té-ci sur l'herbe, genre c'est le malik (« roi » en arabe ) du quartier ! Il me plie de rire ! En hiver avec sa doudoune, en été avec son short ! Indétronable ! La soirée passe vite, ainsi que la nuit. Le soleil se lève et c'est l'heure de repartir. J'embrasse tout le monde, Mohssin me dépose à la gare...

-« Faut vraiment qu'elle se repose, elle est fatiguée, moi je suis pas là la journée je peux pas controler ses gestes. Je compte sur toi cousin !
-T'inquiètes pas, elle est entre de bonnes mains ! Rentre bien et gratte des jours à ton retour, qu'on en profite !
-In cha Allah ! Allez, salam ! »

Quelques heures plus tard, me revoilà à la maison. Une sensation bizarre m'envahit du fait qu'elle soit vide. Je supporte pas être seule : ça me fait trop cogiter ! Je regarde les murs, les objets et puis je me rappelle de tout et n'importe quoi. Au fond, ca me fait mal au cœur d'avoir laissé Maman là bas ! Je me jure tous les jours de rendre sa vie meilleure, mais chaque matin ce sont ses cernes creusées qui se dévoilent à moi dans toutes leurs spendeurs ! Et puis j'ai beau être consciente que je travaille pour nous, pour nous remettre à flot, nous faire du bien, j'ai peur qu'elle n'aille pas mieux, et que ce travail qui est censé nous aider soit la cause du fait qu'elle ne guérisse pas plus vite. ET VOILA... C'est toujours ça quand je suis seule, je cogite trop, je l'avais bien dit ! Et puis de quoi je me plains, la pauvre, je la laisse bien cogiter des heures et des heures seule entre ces murs non ? Nawell, arrête ! Elle est entre de bonnes mains... Je suis réveillée quelques instants plus tard par le vibreur de mon phone tel. Sonia me demande où je suis, je lui répond de descendre ! Elle arrive en pyjama et me dit avec l'accent du sud : « Oh la con de toi, la gadgi elle est revenue, elle déclare tchi (« rien ») ! » Je golri et on va se caler devant le salon. Elle est tendue, je le sens...

-Ca va ou quoi là ?
-Nawell, il m'harcèle ! Plus il m'envoie des messages, plus il m'appelle, et plus j'ai envie de le tuer moi-même !
-Sonia, tiens le coup. Hafid est sorti maintenant de l'hôpital. Tant qu'il ne dit rien, faut pas s'occuper de tout ça. Toi, continue ton année, buche tes partiels !
-Ouais c'est clair ! Au fait faut que je te dise un truc...
-Oui, je le sais ca se sent gros comme une baraque ! Il s'appelle comment ? Rayan ? Dylan ? Omri numéro 49 ?
-Ta gueule, je suis pas une meuf facile... Enfin si... Enfin non ! Je suis sensible au charme masculin c'est normal !
-Ouais...
-Bref ! Non j'allais pas te parler d'un gars ! Bref, écoute moi Nawell, c'est important... Le soir où ta mère a fait son malaise, elle était chez moi l'aprem
-Oui je sais elle était avec ta mère, et ?
-Ben elles discutaient dans la cuisine et je voulais aller me prendre un truc à manger, je révisais... Sauf que j'ai capté une conversation que j'aurais pas du capter je crois...
-(Je m'impatiente... Pourquoi faire du suspens chaque fois ! T'accouches ou t'accouches pas ?) Sonia, va droit au but là !
-Oui ... Bon ben ta mère disait à ma mère que ton père l'avait appelé et qu'il allait rentrer bientôt.
-(Je tape mon poing sur le canapé) QUOI ? Mais POURQUOI ? Il est ouf celui là ! C'est pas la charité ici ! Où t'as vu ca toi, délaisser ta femme et tes gosses pour une paire de nichons plus gros ! Où t'as vu ca qu'un père assiste même pas à l'enterrement de son gosse parce qu'il a des plans avec sa gonz' plus importants ! OU ?
-(Elle me prend ma main avec mes deux mains) Nawell, c'est ton père, parle pas de lui comme ça ! (Elle sourit) Mais ça me fait rire quand même parce que à deux trois mois près « gonz' » et « nichons » pour être plus exacte, ta mère a dit la même. Elle était en colère et lui a dit qu'elle ne voulait plus le voir et que vous aviez déménagé depuis que Karim était plus là. Qu'il vous retrouverez pas. Mais à ce que j'ai compris, il est déter à venir d'ici quelques semaines... Mais je sais pas pourquoi !

Je la remercie de m'avoir prévenue, on appelle sa mère pour lui dire que Sonia dormira avec moi, et on matte la télé. Mes poings sont toujours serrés, je décolère pas ! Il a pas le droit de nous faire ça ! Partir sans laisser de quoi nous nourrir, sans laisser de quoi combler son vide. Partir sans dire au revoir, en nous laissant cette culpabilité permanente d'avoir mal fait ! Appeler quelque temps après pour nous dire qu'il avait refait sa vie, comme on appelle une pine-co pour lui dire qu'on s'était payé une fringue de ouf ! Et puis plus de nouvelles depuis des années... Il a pas le droit de nous abandonner et revenir quand bon lui semble. Ce n'est pas le bon moment pour nous, voilà ! Meskina, je comprends mieux son malaise... Mais ce qui m'embête le plus c'est qu'elle ne m'en ait pas parlé. Je la connais ma mère : quand elle ne parle pas de quelque chose, c'est qu'un truc se trame... J'ai envie de l'appeler, mais je sais que je lui gacherais son repos. Je peux rien faire... Juste patienter. Rendez vous pris dans quinze jours à Toulouse. Je veux savoir ce qui se passe, qu'elle me confirme qu'il vient juste récupérer un papier, ou juste passer quelques jours à Paris avec sa meuf! Ca me soulagerais, et d'ailleurs, je resterais sur cette hypothèse sinon je tiendrais pas deux semaines! Pour l'instant, la fatigue est présente, le TGV m'a retournée la cervelle... Je me lève, couvre Sonia, me couvre et m'endors...

Chronique de Nawell : Plume de la StreetOù les histoires vivent. Découvrez maintenant