Partie 4 : Une journée sans péripéties, c'est comme un couscous sans sauce. Fade

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20h. Ca sonne à l'interphone. Même affaiblie, maman reçoit les invités et me demande de réchauffer le thé. Je m'exécute. Ca fait quelques jours maintenant qu'elle est sortie de l'hosto, dans un état fragile mais debout et pleine de bonne volonté à récupérer tous ses moyens. Hamdoullah ! Dire que y'a une semaine, j'étais entourée de toubibs qui m'orientaient vers une psy pour affronter la future mort de la daronne ! J'évite de lui parler de tout ça, minimise son hospitalisation et reste En mode « rien vu, rien entendu », j'veux la décharger du poids de la vie. Pour « fêter son retour au darr », elle a invité du monde ce soir, histoire de se retrouver et de les rassurer sur son état de santé. Debout devant la cuisinière, j'entends la mife débarquer, reçue par la madré et son enthousiasme légendaire. Même je sens à sa voix qu'elle est plus fatiguée que d'hab'...

En rentrant du taffe cet aprèm, je l'avais retrouvée dans le salon, devant 2m, en train d'éplucher une montagne de légumes. Je lui avais enlevé le couteau des mains, agacée qu'elle s'épuise, et j'avais fini à sa place. Elle s'était couchée derrière moi sur le sedari (canapé), me caressant les cheveux, et m'expliquant qu'elle préparait un couscous parce qu'elle avait invité sa sœur et son mari, la sœur de mon père et Ahmed ! Puis elle avait arrêtée de parler, guettant ma réaction ... Ahmed ! C'est un gars à l'ancienne, un proche de la famille. Il avait des vues sur moi, et voulait se marier. Pour faire plaisir à Maman, j'avais accepté son Zéro six, mais au bout de quelques semaines de conversation, j'ai coupé court. Un dictateur et surtout pas un mari pour moi. Au téléphone, il disait : « Fais pas ci, fais pas ça, va pas la, bla bla bla bla »... Un jour, je grattais à fond un texte et j'ai pas calculé mon Blackberry. Plus tard, j'ai vu ses textos, j'ai répondu « J'écrivais », il a pété les plombs et m'a mis une de ces pressions. Comme quoi il passait avant mes textes, et que je lui avais manqué de respect. Il a commencé à faire le fou, j'ai mis court à la conversation : « J'accorde du temps à qui prend soin de moi et fais de moi une meilleure personne. C'est le cas de mon Bic. Pas de toi. Salam ». Depuis, je l'avais revu en despi à deux trois réunions de famille mais c'est tout. Il avait le seum !

Ma mère m'a appris quand j'étais à New York qu'il s'était marié avec une meuf du bled, et qu'elle allait venir en france, question de temps... Et de papelards. Il s'est marié avec la fille de son voisin au bled. On a déjà eu l'occasion de la voir. Meuf voilée ma cha Allah, gentille et tout, on avait parlé vite fait entre les douze repas qu'ils te posent pour te goinfrer comme une oie. J'ai capté pourquoi il était partie la chercher. Elle bouge ap', parle ap', sort même ap' et SURTOUT ne dit jamais « MAIS ». Ma mère m'avait sorti de mes pensées en me tirant gentiment les veuches, je me suis retournée : « D'accord, t'as eu raison 'Man. Dors un peu je finis de préparer tout ça » ... Surprise de ma réaction calme, elle s'est allongée et s'est endormie...

J'amène le thé et les pâtisseries dans le salon, salue tout le monde. L'oncle balance les dossiers. Le repas arrive. Ahmed me lance des regards sombres. Il a quoi celui là ? Mes tantes qui ne m'avaient pas revu depuis mon retour, m'harcèlent de questions. « T'as vu Obama ? Et les tours du 11 septembre ? » Dès que je suis au centre de la conversation Ahmed me tacle, genre « Wesh, t'as trouvé un éditeur aux States ou bien ? » Il est super marrant, monsieur l'ingénieur ! Je débarrasse, et me pose un peu dans ma chambre. Y'a des photos collées au dessus de mon bureau, dont une avec Sarah : j'avais 5 ans, c'était à la plage. Sarah, c'est ma cousine, elle me fait trop penser à Sonia. On se ressemblait tellement que les gens pensaient que c'était ma grande sœur. Sarah a un don pour se fourrer dans des histoires plus chelous les unes que les autres. Je me suis toujours dit que jamais je les réunirais ces deux là, j'aurais terminé le paquet de Doliprane en deux-deux avec leurs histoires. Ma cousine était avec un caïd de Saint Denis. Un caïd plongé dans tellement de trafics que le point de non retour était dépassé depuis perpèt'. D'ailleurs il avait très mal fini. Et la dinguerie, c'est que Sarah a été impliquée dans l'histoire. Ca fait trop longtemps que j'ai pas eu de ses nouvelles. Santaki en a fait un élement important de son roman. Encore aujourd'hui, ça me retourne le cerveau d'y repenser. Comment il allait faire apparaître l'histoire de ma cousine dans son livre « Des chiffres et des Litres » ? On était loin des châteaux de sable, et de l'innocence...

Ma mère toque à ma porte et me sors encore une fois de mes pensées. Je dois raccompagner la mife. J'enfile ma doudoune, mes Jordan et vais jusqu'au parking. Sur le ter-ter, les petits de la cité font leurs affaires. L'un d'eux crie : « Wesh raboule le fric bolosse ! ». On se croirait dans un remake de La Haine en 2011. Je salue tout le monde, Ahmed ne me lâche pas du regard. Ils s'éloignent, je leur fais un dernier geste de la main et trace vers le bloc. Un des gars de la tess se bat avec un autre. Les autres rappliquent et lui tombent dessus à plusieurs. Le son de la voiture s'élève entre les bâtiments.
Neuf Trois tu peux pas test

A cent mètres, une voiture fait des appels de phare et m'aveugle. Un mec en sort et s'avance vers moi. Il s'avance encore. C'est chaud ! C'est l'autre mytho d'Omar ! Il est maintenant à ma hauteur, et respire fort, on dirait presque que la buée s'échappe de sa bouche en continue. Il me prend par le bras :

- « Nawell, faut que je te parle.
- Je rentre là.
- ( Il mort sa lèvre avec ses dents, et serre ses poings) NAWELL ! Vas y viens !

Il m'attrape et me fous sur le siège passager. J'ai le cœur qui tabasse ma poitrine, sa voiture démarre à fond et part. Je panique !

- « Tu fais quoi là ! Ramène-moi chez moi, dépêche-toi. T'es taré ou quoi ?
- (Il transpire du visage, a présent rouge, et roule comme un dingue. Il n'avait plus rien à voir avec le « gentleman » de la sortie de métro.) Je veux qu'on discute ! On va dans un endroit tranquille.
- (Je crie) On va nulle part ! Ma mère m'attend ! Je te connais pas, tu me connais pas, t'es calé avec ma meilleure amie, on a rien à se dire ! Arrête !
-Wesh, calme toi, on parle c'est tout j't'ai dit.
- On PARLE PAS jt'ai dit, ramène moi de suite !!!
- Putain ! Vas y t'as cru que j'allais te violer ou quoi ?!»

Il freine d'un coup ! Un silence de plomb s'installe.

- « Casse-toi de là ! Casse-toi ! »

Je descends, les larmes aux yeux, les jambes qui tremblent. Je cours jusque la cité, je ne réussis pas à contenir mon émotion. Pourquoi je suis monté dans sa caisse ? Pourquoi j'ai calculé ce mec, j'ai un mauvais pressentiment. Je sonne à l'interphone et attends l'ascenseur, le corps qui ne tient plus démoli par la panique. Dans l'ascenseur j'essuie mon visage, il ne faut pas que je craque devant la mama...

Chronique de Nawell : Plume de la StreetOù les histoires vivent. Découvrez maintenant