Partie 29

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"Tout vient à point qui sait attendre. & qui n'attend rien ne peut que se réjouir des bonnes choses!"

- Salam Nawell, ca va ?
- Alaykoum salam. Hamdoullah et toi ?
- Hamdoullah. Ca va.
- Je dois rentrer Hafid, je suis fatiguée.
- Monte, je te ramène !
- Non, ca va aller, je veux marcher.
- S'il te plait Nawell, monte...
- Ok.

Je monte dans sa voiture et on s'en va. On est silencieux. Le son de Tracy Chapman défile, Hafid tapote ses doigts sur le volant...

"All you folks think you own my life / But you never made any sacrifice / Demons they are on my trail / I'm standing at the crossroads of the hell / I look to the left I look to the right / There're hands that grab me on every side / All you folks think I got my price / You think money rules when all else fails / Go sell your soul and keep your shell / I'm trying to protect what I keep inside / All the reasons why I live my life"

"Tout le monde pense que ma vie t'appartient / Pourtant tu n'as jamais fait de sacrifices / Les démons sont sur mes traces / Je suis là, debout, au carrefour de l'enfer / Je regarde à gauche, je regarde à droite / Il y a des mains qui m'empoignent de tous les côtés / Tout le monde pense que j'ai décroché le gros lot / Tu penses que l'argent gouverne quand tout le reste échoue / Va vendre ton âme et garde ta carapace / J'essaye de protéger ce que j'ai à l'intérieur de moi / Toutes les raisons pour lesquelles je vis ma vie" (Traduction approximative)

Je me rend bien compte que le chemin qu'il emprunte ne m'amène pas chez moi, et je me doutais bien qu'il allait pas me laisser filer si facilement. Je sens que l'interrogatoire est au bout du chemin et c'est ce qui m'a poussé à vouloir l'esquiver. J'ai rien à lui dire de spécial au final. Il ne m'a pas causé de tord, en tout cas pas directement. Son intention était bonne, tout comme celle de Jalel, j'en suis consciente. C'est la colère qui m'a éloignée d'eux. La colère et la tristesse. Je leur ait pardonné depuis bien longtemps, si on peut affirmer déjà que je leur en ait vraiment voulu... Et puis je l'aime beaucoup. Ca me fait du bien qu'il soit venu vers moi, il m'a manqué. On arrive dans un coin que je connaissais pas, en dehors du 93. Un petit coin de verdure plein d'arbre vraiment joli. Il se gare, sort de la voiture, m'ouvre la portière et me fait sortir. Je souris...

- Je suis chouchoutée dis donc !
- C'est normal. Suis moi, viens !

Je le suis. Il marche et s'enfonce dans la parcelle de terre, jusqu'à arriver à une table en bois de pique nique. Il s'asseoit et je le rejoins, en face de lui. Il me tend ses mains sur la table, je pose les miennes sur les siennes...

- Nawell, je te jure et Dieu sait mieux comment ça me fait du bien de te voir ! Tu m'a manqué ! Je te remercie d'avoir accepté d'être venue !
- Y'a pas de souci Hafid. Je comptais de toute façon...
- (Il me coupe) laisse moi finir. Commençe pas à me couper ! Chasse le naturel il revient au galop (Je rigole) Je veux pas revenir sur ce qui s'est passé au hangar. Il est entre de bonnes mains maintenant, j'espère qu'il prendra cher et que ce sera une cause pour lui de se rapprocher de ce qui est meilleur, et de délaisser l'interdit. J'étais dans une bonne intention quand je vous ais amenés je pensais qu'au contraire ce qu'il dirait vous déchargerait d'un poids. Ca a été le cas pour Sonia, je regrette qu'il t'en ait ajouté un . Je te redemande encore une fois pardon et je serais prêt à attendre si tu es encore en colère, Hamdoullah je pensais en arriver à te dire que je respecterais ta décision si tu voulais ne plus me voir mais si tu es là c'est que c'est bon signe...
- Je t'en veux pas. Ne t'en fais pas. T'es pardonné. J'avais juste besoin de me retrouver et de laisser couler ce qui s'était passé. Tu sais comment je suis quand je pense à Karim... Et c'était surtout la première fois que je prenais en pleine face le ressenti d'une personne extérieure par rapport à l'image qu'il renvoyait. Je sais que malheureusement, c'est bien la mauvaise personne qui a témoigné. Enfin bon, histoire close s'il te plait on en reparlera si tu veux à un autre moment.... Et puis... Tu m'a manqué aussi Hafid. Je te respecte et t'apprécie énormément.
- (Il se remet à sourire. Il lève son regard et me regarde dans les yeux avec insistance. Je le vois que son regard passe de son œil droit au gauche, puis droit et gauche) Hamdoullah. L'endroit te plait ?
- Oui, c'est magnifique, je connaissais pas ! c'est vraiment tout ce que j'aime ! La simplicité, la nature, le vert , les couleurs, pas de bruit, c'est kiffant !
- C'est mon endroit ! Où je viens que je veux réfléchir ou me couper du monde ! Un endroit où je suis à l'aise, et j'en avais besoin aujourd'hui. Ca fait un moment qu'on se connait maintenant, qu'on se cotoie, qu'on se parle, qu'on s'engueule, qu'on rit. Un moment que tu me fais évoluer, que tu m'apprends beaucoup sur la vie. Y'a des moments où je me disais que pour trouver une femme dans ce monde, fallait la réviser encore et encore, la tester tout le temps, passer tout son temps avec elle pour pouvoir l'analyser. Je pense que j'étais dans le faux ! Tester, analyser, réviser, comme si je parlais d'un objet. Comme si la niyah (bonne intention) n'existait pas et que je devais tout maitriser par peur de me faire avoir ou de regretter. A force de voir de mauvais exemples de couples autour de moi, j'en étais devenu à faire du business avec ce qui ne peut pas être marchander : les sentiments. Tout ça pour te dire que de toutes les discussions qu'on a pu avoir toutes ces heures au téléphones sur la famille, le respect, la mort, la vie, l'éducation. Toutes ces apres midi où on a rien fait de spécial et pourtant qui nous ont fait beaucoup de bien au cœur et à l'esprit, ta compagnie directe ou pas m'a rendu meilleur et ont apaisé mon cœur. Aucune poudre aux yeux vient enjoliver ce que je dis. Même dans les disputes, on sait rester correct. Même dans la colère, j'arrive pas à t'en vouloir parce que tu t'emporte pas hors des limites, et ça fait de moi quelqu'un de patient. Je veux ça tout au long de ma vie. Je veux une vie gai, pleines d'activités, de rires, mais je veux aussi une vie remplie de force et de courage dans les épreuves. Y'en aura j'en suis conscient... Bref, attends... (Il détache une de ses mains de la mienne. Je tremble de partout. J'en ai des frissons. Je continue de le fixer, mais je sens que mon regard est vide, et que mes yeux sont plus ouverts qu'à l'accoutumée. Il met sa main dans la poche de son blazer et en sort une petite boite. Il détache son autre main de la mienne et l'ouvre. C'est un anneau...) Elle est simple cette bague. C'est plus un symbole qu'autre chose. T'es pas obligée de l'accepter de suite, tu peux même la refuser. Elle veut dire que t'acceptes qu'on aille plus loin. Le mariage, pas encore, tu me l'a fait comprendre, mais juste que nos familles se voient, qu'on soit plus proches. Voilà...

Le choc. Je reste immobile, je regarde la bague. Un anneau en argent, parce qu'il a du se souvenir que je préférais l'argent à l'or. Elle brille. Hafid me surprendra toujours ! Il était jusqu'à présent, protecteur, marrant, disponible, mais ne m'avait jamais fait comprendre explicitement tout ça. Bien sur que notre situation était plus qu'ambigüe mais je pensais réellement qu'un jour où l'autre, il aurait mieux à faire que passer des aprem jogging, pêche, karting ou assis dans un parc à donner à manger aux pigeons, à refaire le monde, à débattre de la composition d'un surimi à la vie après la mort. J'ai été moi-même, je n'ai pas joué de jeu, il m'a vu dans tous mes états, s'il ne trouve rien à redire de rédhibitoire à tout ça, ça me fait énormément de bien. Je suis attachée à lui, bien plus même. Rien ne me jette dans le doute, rien ne me fait prendre la fuite...

- D'accord. D'accord pour la bague. D'accord pour nos familles. D'accord pour qu'on aille plus loin. Je suis d'accord avec toi. Merci.

Les larmes ont envie de me monter aux yeux, je les repousse. Pas question de chialer ! Il enlève la bague de son boitier et me la passe au doigt puis me fait un bisou sur la main. On reste un moment là, à rire pour rien, puis je lui demande de me ramener. Je suis excitée d'annoncer ça à ma mère, de courir dans les bras de Jalel et de lui dire combien je l'aime et qu'il m'a manqué. Un sentiment de bien fou m'envahit. J'ai pas ressenti ça depuis très, très longtemps ! Sentir que l'avenir semble meilleur, avoir hâte que demain arrive ! Savoir que quelqu'un pense à toi, veut être avec toi, t'aimes telle que tu es. Merci Hafid. Merci mon Dieu.

On monte dans la voiture et on prend le chemin retour. Hafid me fait un bisou dans les cheveux à chaque feu rouge. Il me dit que je suis belle même avec le khol qui a coulé de partout. Je regarde dans le rétro : effectivement, ma visite au cimetière m'a noirci le visage ! Il aurait pas pu me le dire avant ? Sacré lui ! On arrive au carrefour pas loin de la cité. Le feu passe au vert, Hafid passe la première. On entendu un crissement aigu, on tourne tous les deux la tête à ma gauche : un camion a grillé le feu, il fonce droit vers une voiture. Il l'a percute ! Un gros BOUM se fait entendre ! Je crie, Hafid essaye de faire marche arrière. Mais trop tard. La voiture percutée tourne sur elle-même et s'enfonce dans la notre... C'est le NOIR.

Chronique de Nawell : Plume de la StreetOù les histoires vivent. Découvrez maintenant