Partie 16

703 61 1
                                    


Dix kilomètres à pied, ça use, ça use, dix kilomètres à pied, ça use les Asics!

Hafid et moi sommes assis sur un banc. Je suis transpirante et essoufflée comme si je venais de courir 10km... Ah ben ouais, justement, il m'a fait courir 10 kilomètres ce malade ! J'ai eu droit à un speech sur les bienfaits du sport, sur les méfaits de la malbouffe, sur l'hygiène de vie. En gros, le message était que je me nourrissais mal et que j'accumulais des graisses ! Quel tact ! Ca faisait un moment que je l'avais pas vu et si c'est pour me faire souffrir, j'aurais du me contenter de son absence ! Enfin bon, en vérité, ca fait du bien de se défouler, de repousser ses limites. Hafid me tient un pied, puis l'autre, pour que je puisse m'étirer. Il se paye ma tête parce que d'après lui, il manque plus que la Ventoline pour faire de moi une vraie Cotorep ! Je golri. Il me fait rire, il arrête pas de tout tourner à la rigolade. Un vrai bol d'air. N'empêche que depuis qu'il est sorti de l'hôpital, il ne me parle plus d'Omar, ni de ses projets, et de son côté, Omar donne toujours de ses nouvelles à Sonia. Il est caché en province et flippe, il ne lui a pas dit mais j'ai lu tous les messages : il cherche coute que coute à savoir qui fait quoi, qui est où. Pathétique ! J'ose pas demander à Hafid où ca en est, je lui fait confiance, je sais qu'il prépare ça bien pour pas déraper. Même si, évidemment, l'issue reste incertaine... Il me demande :

-Tu descends quand à Toulouse ?
-J'sais pas encore, je devais y aller cette semaine mais mon cousin a insisté pour la garder encore, et ma mère avait l'air d'accord. Tant qu'elle se sent bien, moi ca me va. Pourquoi tu me demande ?
-Euh... Non, comme ça...
-Euh... Dis moi de suite ce que cache cette hésitation !
-Le taff m'envoie à Londres quelques jours, j'aurais été plus tranquille de te savoir avec ta maman. Mais de toute façon, je dois y aller quand même, je prendrais sur moi.
-C'est mignon ! Bon, même si ca va etre très très très très dur de survivre sans toi, je pense que j'arriverais à supporter cette souffrance sans nom !
-Direct les grand mots ! Je sais que tu t'en tape, mais faut bien que je contre balance ton je m'en foutisme !
-Allez, allez, arrête de faire ta victime et lève toi, il se fait tard !

Il me dépose à la maison. Je vais me doucher direct, histoire de me décrasser de tous les mauvais souvenirs de ce footing. Un footing tellement rare qu'avant de commencer, j'ai donné mon tel à Hafid pour qu'il me prenne en photo sur la piste. Il s'est exécuté, mort de rire, m'annoncant que si il devait faire une photo avant chaque séance de sport, j'allais devoir acheter une carte mémoire plus grande parce qu'il comptait faire de moi une guerrière. Il est ouf ! Je me fais à manger léger, histoire de pas réduire à néant les efforts fournis pendant cette séance de torture. Je me pose devant la télé. Le fixe sonne. Je m'approche et regarde l'écran. C'est un réflexe : je connais deux trois numéros de proches, du coup je regarde toujours le numéro affiché sur l'écran, si je le connais, je décroche rassurée, si je le connais pas, j'ai toujours une appréhension bizarre. Cette fois ci, c'est un numéro inconnu, rien ne s'affiche. Bon, Ok...

-Allo ?
-Oui, Allo... Nawell ?
-Euh, oui, c'est moi, vous êtes ?
-Benti, c'est papa...

Je ne réponds plus. Mon cœur bat tellement fort qu'il doit l'entendre, c'est sur ! Bon, Nawell, ravale ta colère et cherche à savoir, cherche à gratter, énerve toi une fois que t'auras raccroché !

-Ah, ok. Pourquoi t'appelles ?
-Ca fait longtemps qu'on s'est pas parlé ma fille...
-Appelle moi Nawell s'il te plait. Si tu me considérais comme ta fille, alors t'aurais donné de tes nouvelles depuis le temps, non ? Dis moi ce que tu veux au lieu de jouer ta comédie !
-Tu as le droit d'être en colère, je comprends tout à fait
-(Je le coupe, la voix tremblante) Non tu comprends rien ! Rien du tout ! Dis pas que tu me comprends ! Dis moi juste ce que tu veux !
-D'accord Nawell, bon voilà, j'ai contacté ta mère plusieurs fois ces dernières semaines, je vais venir sur Paris la semaine prochaine, je dois régler quelques affaires et je voulais vous voir en passant, tout simplement.
-Tu mens ! Des années sans nouvelles, à refaire ta vie comme si t'étais jeune, fougueux et sans attaches, et puis d'un coup, tu penses à nous ? TU MENS ! Qu'est ce que tu veux !
-T'es comme ta mère, elle m'a dit la même chose ! Je veux absolument rien... Je suis allé voir Karim et j'ai pensé à vous, je voudrais vous voir, parce que je me rends compte que j'en ai encore l'occasion pour vous...

Je ne parle plus. Les larmes coulent sur mes joues. Je repense à mon frère. A sa mort. A son enterrement. Les hommes étaient venus prendre son cercueil pour l'amener au cimetière. Y'avait mes oncles, mes cousins, quelques uns de ses potes qui ont pu se déplacer, des voisins, des inconnus, des jeunes, des vieux. Il en manquait un, d'homme. Un seul. Son propre père. Un pauvre irresponsable sans cœur, qui n'a pas daigné annulé ses vacances pour son fils. Surement un motif pas assez valable à ses yeux. Je suis désolée, mais j'arrive pas à croire qu'il est soudainement eu une lueur d'intelligence. Ca existe ces ke-tru, mais ca semble impossible pour lui...

-Ecoute, me parle pas de Karim, essaye pas de m'attendrir avec ça. Laisse maman tranquille et rappelle plus ici. Laisse la tranquille je te dis ! Elle ne veut pas te voir, elle peut pas, comprends la. Réfléchis à ce que t'as fait, au lieu de faire le sincère repentant. Voilà mon numéro 06 ** ** ** ** quand t'es à Paris appelle moi, si j'ai le cœur à venir, je viendrais, sinon cherche pas à prendre contact avec Maman, t'entends ?!
-Oui... J'ai noté ton numéro. Je suis désolé de t'avoir dérangée, je t'appelle quand j'arrive.
-Ok. Salam alaikoum !

Je raccroche. Tu m'étonnes que Maman ait fait un malaise, quel choc ! Je me souvenais même plus de sa voix ! Il a l'air plus posé, plus réfléchi. Mais j'y crois pas du tout. Y'a anguille sous roche, un point c'est tout. Mon téléphone vibre. Message d'un numéro du bled : « Re. C'est Papa. Je te dis à bientôt si tu le veux bien. En tout cas, je l'espère. Bisous ! » Je lui réponds : « On verra in cha Allah. Salam »

J'envoie un message à Hafid pour lui demander quand il part à Londres. Meskine, ça lui a fait plaisir que je m'intéresse ENFIN à son voyage, il me dit qu'il part dans dix jours et qu'il savait que j'allais craquer et lui dire qu'il allait me manquer. Je golri intérieurement. Je pensais pas à ca moi...

Chronique de Nawell : Plume de la StreetOù les histoires vivent. Découvrez maintenant