Bip. Bip. Bip. Ca fait presque trois jours maintenant que j'ouvre mes yeux dans cet endroit. Que ce bruit me réveille avec un poids horrible : celui du mal de crâne ! Bip. Bip. Bip. Cette fois ci, je me suis endormie sur le fauteuil, le livre « Les Anges S'habillent En Caillera » refermé sur mes cuisses. Une dinguerie. J'étais dans le même état d'esprit qu'Elvira, un des personnages, torturée par la mort de sa mère. J'en avais mal au cœur pour cette michetonneuse. La plupart des gens de ce livre, je les connais, ils sont de Saint Denis, où du moins ils ressemblent à des gens de la ville. Je le pose, puis m'avance vers ce lit d'hôpital. Elle est là, toujours endormie. Respiration artificielle oblige, sa poitrine se soulève et s'abaisse de manière mécanique, accompagné du Bip qui commence à me rendre ouf. Je prends sa main, y dépose un baiser, et m'allonge à côté d'elle...
« Maman. Lève-toi, s'teuplait. Nos chemins peuvent pas se séparer comme ça. J'ai besoin de toi. Pardonne moi. Pardonne moi d'être partie et de t'avoir laissée avec tes inquiétudes. Crois pas, j'étais aussi triste que toi. Mais si tu savais tout ce que ce voyage loin de ce bled m'a appris. Je suis sure, tu serais fière. C'est une vie de ouf là-bas. Rien n'a le temps. J'aurais du me poser des questions, deux jours sans réussir à te joindre, sans recevoir tes appels, c'était chelou. Je le sentais... (Je la serre dans mes bras et caresse ses cheveux) Je fais quoi, moi, si tu t'en va ? Je supporterais pas ! Rien que d'aller voir Karim au cimetière, ça me crève. Ca te tuait autant que moi. Mais on se soutenait. On se soutenait Yemma, oublie pas, me laisse pas. Ta fille est rien. Rien sans toi...»
Je recommence à m'endormir, celle fois ci près d'elle, la gorge nouée, pour une durée encore une fois indéterminée. Mais l'aide soignante entre dans la chambre:
- « Nawell ?
- Ah bonjour, oui ?
- Bonjour Nawell. C'est onze heures. Tu reprends le travail bientôt, non ? Allé lève-toi.
- J'ai pas envie aujourd'hui.
- Mais si. De toute façon, on va lui faire sa toilette et lui changer ses perfusions. Ensuite, ce sera l'heure de son scanner. Tu en a pour deux-trois bonnes heures d'attente avant de la revoir. Autant aller prendre l'air.
- Bon, ok, ca marche. Merci Cécile. Je reviens tout à l'heure.
- De rien. J'arrive, je vais chercher le nécessaire pour sa toilette »A force de se voir, on s'appelait par nos prénoms, et on se tutoyait. Je l'aimais bien cette brune aux yeux verts, mais je pouvais pas m'empêcher de me dire qu'elle me prenait en pitié : genre, ta peine sera moins douloureuse si t'as crée des liens avec le personnel qui va signé l'arrêt de mort de ta daronne. Je me méfiais grave ! Je sors de sa chambre et check ma Casio : je suis dans les temps pour arriver à l'heure! J'assure le service d'un resto branché du 17ème depuis mon retour, pas loin de la Fnac de Ternes : un taffe déniché en deuspi par une pineco de Paname que j'ai côtoyé à New York. Depuis mon voyage aux Etats Unis, les factures se sont entassées. Maman m'en avait pas parlé, mais elle envoyait de la thune à son frère du bled : il lui faisait croire qu'il était gravement malade. Je l'avais jamais senti ! Si elle m'en avait parlé et m'avait dit qu'elle était en galère, je lui en aurait envoyé de la thune ! Du coup, en revenant en urgence en France après le coup de fil de la mère de ma voisine -et meilleure amie- m'annonçant l'hospitalisation de ma mère dans un état critique, ben j'avais capté les dettes. Les relances des huissiers ! Et je me sens seule-tout dans ce merdier... Heureusement qu'on est en période de trêve, car les loyers impayés se sont cumulés. Maman a tout porté : le départ de papa au bled avec une autre, Le décès de Karim, Mes échecs. Et la voilà en train de partir ! Je m'en veux... J'entends mon patron m'appeler. Mon service commence...
Depuis deux heures, je suis de retour au chevet de Maman, continuant à bouquiner. Le soleil se couchait en direct. Je pose le livre sur la table de chevet et ouvre la fenêtre. Une tuerie ce coucher Ma shaa Allah, et rare en hiver. Je reste un moment debout, laissant l'air frais se faufiler dans mon cou. Mais je commence à frissonner, c'est mauvais. Je referme la fenêtre et me pose sur le lit, ma main dans celle mon Paradis. Et je repense à ces dernières années...
Parce qu'avant de partir aux States dans cette famille de bourges, ben j'étais autre chose. Bien autre chose ! Après mon Bac, j'avais intégré une école de journalisme. Ecrire, c'était le rêve de ma vie, un truc de gamine ! Depuis petite, mon meilleur ami était un Bic. Le premier mot que j'ai su écrire c'était mon prénom, et l'appart' où on habitait avait compris la chose : j'avais marqué Nawell sur tous les murs ! Maman m'avait traîné par les veuches ce jour là, elle m'avait pas ratée ! En même temps de mon école, je donnais des coups de mains à 5Styles, un magazine de rap. Bon, il était fini depuis, et d'ailleurs j'étais restée super pote avec le mec qui le dirigeait : il avait pas perdu son temps ! Il avait enchaîné des livres dont celui que je lisais, et le prochain arrivait déjà ! Moi, par contre, j'avais pas suivi par manque d'assurance, manque de convictions, manque d'idées, manque de tout ! Les défaites s'étaient succédées les unes après les autres à une vitesse de déglingué. Après avoir quitté le magazine, j'avais raté mon examen à l'école, et j'en passe jusqu'à en arriver à inhaler cette odeur puante d'hôpital au chevet de la madré, entre deux plonges dans un resto. J'aurai pu écrire mon histoire : « Nawell, chronique d'une vie qui pue la défaite »...
Je pleure, lâche la main de Maman et pose ma tête contre son cœur. Rien n'arrive sans rien, mais rien n'arrive sans but. J'étais éprouvée et me morfondre sur mon sort arrangerait rien. Si Dieu me donnait quelque chose, c'était pas pour la dénigrer ou cracher dessus. Honte à moi ! Faut que je me relève, et que je me donne les moyens. Au moins. Pour rien regretter, et parce que chialer a jamais fait réussir personne. A part Vitaa, on s'entend. Je m'endormis contre elle, ou peut être que j'étais juste somnolente, tout ce que je sais, c'est que je me suis réveillée en sursaut. Ma mère avait pris ma main et tentait de la serrer. Je crie, crie : « Merci mon Dieu ! Hamdoullah ! Maman, t'es une guerrière ! » Deux aides soignantes déboulent dans la chambre. Une m'éloigne d'elle, l'autre tripote ses machines. Je suis comme une dingue, je saute sur place, je pleure de joie cette fois ci. Apres quelques minutes, l'aide soignante se retourne, perturbée. Je lui dis :
- « Y'a quoi ? Oh ! Y'a quoi là ?
- Vraiment, Nawell, je ne sais pas quoi dire. Je suis aussi surprise que toi. Ta mère est en train de sortir de son coma. En tout cas, y'a de grandes chances !
- Dieu est Grand. C'est tout.
- Oui. Sûrement. J'appelle de suite le docteur, des examens s'imposent. Va faire un tour, t'es là depuis des heures !
- Nan ! J'bouge pas...J'bouge pas de là !
- Y'en aura pour un moment. Les médecins ne te laisseront pas rester alors va faire un tour sil te plait...
- Ok. Mais appellez moi si y'a du nouveau.
- C'est d'accord. »J'attends dans le couloir, excitée et surprise. J'arrête pas de chialer. Mon téléphone sonne ! C'est justement Sonia, ma voisine et meilleure amie sur la route pour me ramener de quoi grailler, de quoi se changer, de quoi lire. Elle m'a dit qu'elle me retrouvait à l'étage mais j'avais besoin de bouger alors je suis sortie pour la rejoindre. Les portes d'entrées automatiques s'ouvrirent. Quelques gouttes de pluies tombent, je lève la tête et les laissent couler sur mon visage puis je mets mon écharpe et cherche Sonia. Sauf qu'à quelques mètres de moi, je capte le 4x4 de Nasser. Il me téma:
- « Wesh, la feumeu ! Qu'est ce que t'as, t'es sponsorisée par Kleenex ou quoi ?!! »
Choquée! Mais qu'est ce qu'il foutait là ?! (...)