Retour à la case .. H!
Le jour est levé depuis quelques heures maintenant, et je suis devant le service des soins intensifs où Hafid a été admis. Je demande à le voir mais on me dit que quelqu'un est déjà avec lui et de patienter. Alors je m'assois sur une chaise dans le couloir. J'ai pas dormi encore, je suis épuisée. J'ai dit à la madré que je dormais chez une pine-co pour pas l'inquiéter... Si elle savait la nuit que je viens de passer! La scène se répète encore et encore dans ma tête... Si seulement je savais qui lui avait tirer dessus! J'ai rien vu! Il m'a poussé par terre, je suis tombée et je me suis protégée. J'ai entendu des coups de feu, le dérapage d'une voiture et puis plus rien. Il était là, allongé par terre à quelques mètres de moi dans ce parc, le sang coulait de son ventre. Une scène de dingue. Je savais plus quoi faire, s'il fallait déguerpir ou alors le soutenir. Le coeur a été le plus fort: je lui est mis sa tête sur mes cuisses, les mains tremblantes composant le 15, pendant que mes larmes ruisselaient sur ses joues. La peur au ventre que le keu-mé revienne me terminer à moi aussi. Ce sont les sirènes de l'ambulance et de la police qui viendront nous sauver quelques instants plus tard: j'avais jamais été aussi heureuse de les voir, ces keufs! Une longue nuit au commissariat plus tard, et me voilà ici... Est ce qu'il va bien au moins? J'en sais rien! Est ce qu il est conscient, vivant? Vas y, j'en sais rien... Une femme sort du service en pleurs. Une rebeu, la quarantaine. Elle s'avance vers moi et s'assoit à côté. Elle implore Dieu de sauver son fils, de l'apaiser... Je me revois priant pour ma mère à l'hôpital, me demandant ce que ma vie serait sans elle: la compassion m'envahit. Je lui pose ma main sur son épaule et lui dit que ca ira, qu Allah ne l'abandonnera pas quel que soit Son choix. Elle pose la sienne sur la mienne, me dit que si je connaissais son fils Hafid alors je saurais à quel point beaucoup de gens ont encore besoin de lui ici ... La panique : C'était la mère à Hafid...
" Tu sais benti, mon fils, c'est un garcon qui aurait pu faire comme beaucoup de garcons du quartier: boire, fumer, dealer. Mais Hafid, jamais! Il nous protège moi et son père, nous apporte tout ce dont on a besoin. Il éloigne le mal qui nous entoure, et apaise toujours toutes les tensions... Tu sais benti, des hommes comme lui y'en a plus beaucoup... J'en avais deux... (Elle se remet à pleurer, je lui tiens la main. La curiosité est présente, pourtant je n'arrive pas à m'empecher d'avoir les larmes aux yeux. Il faut qu'elle termine. Il faut que j'en sache plus) ... Hafid et Soufiane. Des garcons différents mais deux garcons que j'aime au plus profond de moi. Soufiane est mort maintenant Allah y rahmo. Je sais que c'était une perle, mais ses copains étaient mauvais, eux. Hafid a tout fait pour le sortir de là, tout. Soufiane avait commencé la prière, fréquentait de temps en temps la mosquée, revenait aux repas de famille... Mais il a pas eu le temps de redevenir celui qu il était, non... Ils ... (Elle éclate en sanglots, je la prends dans mes bras) ... Ils ont tué mon Soufiane! Et ils veulent tuer Hafid! Qu'ils me tuent! Qu'ils me tuent! Mon coeur est déjà a moitié mort, près de mon fils à Tunis..."
Ma tête sur son épaule, sa tête sur mon épaule. Elle pleure avec retenue, et je pleure avec elle.On se connaît pas mais quiconque passerait pourrait nous croire liées. Le frère à Hafid est mort! Il m'avait dit qu'il était amoché... Pourquoi il m'a menti? Pour me protéger et pour pas que je m'inquiète sur ses plans, évidemment... Omar! C'est sur, c'est Omar qui lui a tiré dessus! Omar a planté Soufiane et il veut finir le travail. Ca n'arrivera pas. Faut qu'Hafid s'en remette; Faut que cet enfoiré paye de la souffrance qu'il sème! La maman d'Hafid se détache de moi, se mouche et me regarde tristement...
- Et toi benti, que fais tu là? Tu as une personne de ta famille ici? C'est dur je sais benti, il faut que tu tiennes le coup.
- (J'esquive de répondre, je ne veux pas qu'elle sache que je suis là pour lui) Oui, c'est parfois dur, mais ca va aller khalti (« Tante » marque de respect pour une personne), il faut tenir pour eux, il faut que tu tiennes le coup pour ton fils.
- Oui. Je m'appelle Amina. Je vais rentrer à la maison, je reviens tout à l'heure in cha Allah avec mon mari et ma fille. On se verra!
- Peut être oui in cha Allah. Moi c'est Nawell... Repose toi bien khalti. Que Dieu te facilite.
- Amine.Elle prend son sac et s'en va. Une infirmière passe, je lui demande si je peux voir Hafid. Elle me demande qui je suis... Je lui dit que je suis sa soeur! Elle revient quelques minutes plus tard, et m'autorise à aller le voir, mais seulement à travers la vitre. J'enfile la combinaison stérile dans le sasse et je m'approche... Il est là, allongé, l'intubation dans la bouche, la tête bandée... Je pose mes doigts et mon front sur la vitre, regardant son beau visage. Ma respiration au rythme de la sienne, artificielle. Mon coeur battant au rythme du Bip Bip auquel je ne m'habituerais jamais. Je ne me méfie plus de lui, je ne lui trouve plus aucun vice. Cet homme devant moi est une personne qui a un bon comportement envers ses parents, qui a essayé par tous les moyens de faire revenir son frère sur le bon chemin. Un homme qui travaille honnêtement et qui a eu l'attention de ne pas m'attrister alors qu'il n'y était pas obligé... Je ne le connais pas beaucoup, pourtant le voir ici me rend triste et vraiment mal. Hafid, lève toi. Hafid, meurt pas... Ta mère a besoin de toi. Et peut être bien que moi aussi...