Partie 24

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Dire que le silence n'est pas un oubli est faux. Oui, car parfois, le silence est juste une preuve d'indifférence.

Ca fait deux jours maintenant que je n'ai plus de nouvelles, ni de Jalel ni d'Hafid. J'en suis malade. Par moment, des idées noires viennent à ma rencontre et me font imaginer le pire. Le téléphone de Jalel est éteint, je tombe sur messagerie chaque fois que j'essaye de l'appeler. Par contre, celui d'Hafid a sonné une fois hier... Bizarre ! Mais étrange dans quel sens ? C'est censé sonner à moi positivement ? Aucune idée ! J'ose pas demander aux autres ce qui se passe, ils doivent être sur les nerfs et je risque pas de les trouver les bras tendus vers moi, alors je prends Tarek -le frère de Jalel- comme intermédiaire. D'après lui, toujours rien de neuf, toujours Wanted... Alors j'attends... Les rappelant encore et encore, juste pour entendre leurs voix sur leurs répondeurs... Les coudes sur la table du salon, je rêvassais, Maman me sort de mon film de science fiction qui se jouait dans ma tête...

- Nawell, c'est bon, j'ai signé... y'a autre chose à faire ?
- Non 'Man !
- Je pense que c'est mieux pour nous. C'est beaucoup plus que la moitié de sa valeur qu'il nous propose, quand même !
- Tu essayes de te persuader ou de me persuader que c'est une bonne chose ? Tout ce que je vois c'est qu'il a gagné ! Mais si ca peut t'aider à aller mieux, alors je m'oppose pas à toi 'Man... Je te contredirais pas. Mais au fond tu sais que je lui aurait jamais céder une miette de la baraque si j'avais eu le choix.
- Je sais benti. Avec cet argent, on pourra se faire plaisir ici et rembourser le reste de nos dettes. Et puis tu pourras reprendre tes études ou voyager. Faire ce que tu veux. Ce qui me fait mal, c'est de te voir travailler dans un endroit qui te plait pas, dans un domaine qui te plait pas, et d'être impuissante. Il me reste que toi, et si je peux me sentir fière de te donner ce que tu mérites, alors je le ferais. Cette maison, qu'il la garde, qu'il y vive, qu'il y meurt, on pourra même s'acheter un petit appart' près de la mer maintenant ! On pourra vraiment profiter et on pourra enfin passer à autre chose. Parce qu'au fond, si tu veux la garder, c'est pour l'embêter et lui montrer qu'il a pas tous les droits... Et rien d'autre. Ca fait des années que t'y a plus mis les pieds et t'y remettras pas les pieds. Ecoute moi, je te jure que c'est mieux comme ça.
- (Je la prends dans mes bras) Je t'écoute... Je t'aime 'Man.
- Moi aussi benti. Allez, va lui envoyer tout ça, on en parle plus !

Mes New Balance aux pieds, New Era sur la tête, et je m'en vais à la Poste du coin, avec l'enveloppe qui marque la délivrance de ma mère. Je l'aime plus que tout dans ce bas monde. Je sais qu'il peut m'arriver la pire des choses, où que je peux commettre la pire des atrocités, elle sera là, à mes côtés. Peut être pas à me défendre, peut être même à me sermonner, mais qu'importe, elle sera là. On en a vécu des choses, on s'est disputées mille fois, on s'est dit des ke-tru pitoyables, mais au final, chaque fois que j'ai mis un pied dehors pour souffler, la réelle méchanceté de l'extérieur me faisait vite rentrer pour lui demander pardon. Mon téléphone vibre. Je le sors de mon jean : « Numéro inconnu »... Hafid ?

- Allo ?
- Allo, salam c'est Imed. Arrête toi t'es limite en train de courir je suis juste derrière toi !
- (Je me retourne je le vois au fond de la rue) Ok je t'attends à de suite.

Je raccroche. je suis un peu déçue. Mon coeur qui s'était arrêté de battre une seconde a repris de plus belle. Fausse alerte. Il me rejoint une minute plus tard...

- Ca va Nawell, tu vas où ?
- Je vais à la Poste. Comment t'as eu mon numéro ?
- Une personne en commun... J'ai piqué son tel. Cherche pas je suis un abruti fini.
- (Je golri) C'est toi qui l'a dit ! Hamdoullah ca va et toi ?
- Ben ouais Hamdoullah.
- Félicitations au fait le futur papa ! 3Endek que ta femme nous voit ensemble, elle va me sauter à la gorge !
- (La bouche ouverte, comme si je venais de lui annoncer qu'il allait se faire amputer) HEIN ? MOI PAPA ? Déjà faudrait que je grandisse après on verra la paternité ! (Il est mort de rire et m'imite) ... Félicitations le futur papa, elle est ouf cette feumeu...
- Je sais pas moi, Amina a vu Sonia et elle lui a dit qu'elle attendait un gosse et qu'il était de toi !
- (Il se marre et frappe sa main contre sa cuisse) Ouesh, mais c'est une grosse gamine cell'à ! Elle est dans la merde, qu'elle reste dans sa merde ! Juste après le mariage de Soukaina, un pote m'a dit qu'elle m'avait kiffé, il nous a présenté. La go elle me faisait du rentre dedans heshek elle m'a fait khaf presque ! J'ai fait le gars attentionné pour capter si c'était une keh' ou pas, c'était trop che-lou son comportement. Elle m'a avoué s'être fait ken par un trimard et être en cloque. En gros, elle voulait que je la ken derrière pour me qué-blo, c'était toujours mieux de me ramener chez son daron que le vrai père du gosse. J'suis pas un bouffon encore, putain heureusement que j'ai joué la disquette, t'imagine j'aurais fauté ? La zonz toute ma vie avec une go comme as'!

Il se marre et répète encore « Félicitations le futur papa » ! Il golri tellement que je le suis dans son délire, même si l'histoire reste triste quand même. Amina a déconné sévèrement... Elle doit être mal, et j'imagine même pas l'état de ses parents quand elle leur apprendra...

- Bon Wallen, y'a Donna qui m'attend sous l'olivier pour me donner mes rêves histoire que je bouge cette vie, t'as vu. On se capte tard plus. Je peux garder ton numéro ?
- (Je le frappe à l'épaule. Il se fous toujours de ma gueule avec ses phrases « compilation » des ziks de Wallen) T'es fatiguant ! On parlera de cette histoire de num' une autre fois, j'en ai pas fini avec ça.
- Vas y ! Salam.

Il s'en va, j'arrive devant la Poste. J'attends patiemment, et même très très patiemment mon tour pour enfin arriver au guichet. Une longue attente qui m'a donné le temps de ronger mes ongles, de trifouiller mille et une fois ma casquette, de refaire mes lacets, de relire mes messages, de repenser à Hafid, Amina, Jalel, Omar entre les coups d'oeil que je lancais au panneau annonçant le numéro du prochain client ... Passionnant. « Numéro 54 - Guichet C » ENFIN ! Recommandé avec accusé de réception. Adresse de réception : Maroc. Payé. Tamponné. Envoyé. Soulagée!

Chronique de Nawell : Plume de la StreetOù les histoires vivent. Découvrez maintenant