C'est dingue comme un même endroit peut réunir des personnes totalement différentes. Aussi loin que je m'en souvienne, j'ai toujours aimé me poser et observer ce qui m'entourait. Une fois, au bled, j'avais passé une heure à suivre un cafard, espérant qu'il rejoindrait son gang et que je pourrais enfin démanteler le réseau qui me pourrissait mes nuits... En vain! Au fond de la salle, je suis posée à une table. A l'extérieur, les gens s'agitent pour les achats de Noel. La Fnac des Ternes se blinde et les boutiques des alentours aussi. Je dégomme le plat que le cuisto m'a préparé, et matte ma Casio. Il me reste une demie heure de pause avant de reprendre mon service...
Une heure plus tard, le restau' est blindé, comme quasiment tous les jours à la mi-journée. Les cadres vident leurs assiettes sans savourer le contenu, trop occupés à tourner les pages de « Le Monde », ou à pianoter des e-mail sur leurs smart-phones. Un type en costard qui travaille dans un boite de com', à son phone collé à l'oreille. Juste derrière, un groupe d'amis se charrient autour de leurs cafés. Y'a aussi les loveurs, toujours dans un coin isolé, en train de se bouffer du regard et de sourire bêtement, insensible au brouhaha qui donne de la vie à cet endroit. Le léger « Dring » signale l'entrée d'une nouvelle âme affamée, mais il retentit si souvent que plus personne n'y prête attention. En train de commander, truc de ouf, je vois Rachid ! Il est avec son pote Kamel, un boxeur de Saint Denis. Ben justement, je comptais l'appeler pour lui annoncer mon retour ! Ca fait grave longtemps que je l'ai pas vu ! Rachid, c'est celui qui m'a donné ma chance avec son mag, 5styles. J'avais commencé à corriger des articles, à assister aux bouclages. Il bossait avec Varouny, une asiat avec qui il était complice. Et il y avait Adnen, qui se chargeait de faire des interviews. L'équipe me faisait rire, et c'était du freestyle. Après avoir géré plusieurs rubriques et papiers, je lui avait montré un jour deux trois trucs que j'avais gratté. Depuis, il insistait, voulait que j'exploite ce qu'il pensait être « un réel potentiel ». A son contact, j'avais progressé, pris des marques, assimilé des bases. Par contre il me rendait dingue, il faisait trop de trucs à la fois ! J'avais plein d'images, de Souvenirs, comme ce mur dans un bureau avec toutes les couvertures affichées. C'était avant que j'arrête tout... . Il a stoppé le magazine du jour au lendemain pour se consacrer au livre. On était tous surpris, et par ce choix et par l'ampleur qu'a pris son livre « Les Anges S'habillent En caillera ». A saint Denis, tout le monde en parlait, car il y avait plusieurs personnes de la ville, et puis c'était un évènement, j'ai suivi tout ça depuis mon ordi: c'est ce qui m'a poussé à me lancer, à écrire ces chroniques. Je Vais à leur table, et prends une voix grave.
- Bonjour Monsieur Santaki...
- (Il lève la tête) Nan, qu'est ce que tu fous là ?
- (Kamel) Nan, c'est pas la petite bête que t'as recueilli dans la fôret?J'éclate de rire. Son pote Kamel était une figure de Saint Denis. Très apprèccié, il me rendait cinglée. Une fois je marchais et quelqu'un m'arrache mon sac. J'ai flippé ! C'était lui. Il pleurait de rire. Une autre fois, j'arrive dans le couloir. Et j'entends un gros chien aboyer: c'était lui. Il me rendait ouf, je me suis mise à rire. Lui aussi.
- « Alors la cainri ! T'es de retour ? Depuis quand ?. Ca va ?
- Oui, je suis de retour depuis même pas un mois, ma mère était à l'hosto j'ai du rentrer en urgence....
- (Kamel) Nan, qu'est ce qu'elle a ?
- Elle va mieux Hamdoullah. Et moi aussi du coup.
- (Kamel) Si y a besoin de chosequelque tu nous dis!
- Nan, merci Kamel, par contre arrête de me faire des blagues, un jour mon coeur va lâcher.Ils éclatent de rire et Kamel raconte quand il a fait WAOUF ! en me surprenant dans les escaliers, je m'étais mise à pleurer. "Elle a fait une de ces teté !"
Kamel parle en verlan, il m'a contaminé et Rachid aussi avec sa dégaine d'intello. Cette langue fait parti de leur époque avec eux, quelque chose devient chosequelque, l'autre devient trelo, vite tevi, ils ont cette langue et j'ai pris ces tocs. Chez Marie Claire, je lachais des mots quand j'étais à l'aise, les journalistes et stagiaires, m'appelait la « Wesh ». Rachid me demande:
- Ca gratte toujours ou quoi ?
- Ouai, vite fait, question de survie, tu le sais !
- Tant mieux. Range pas ta plume, elle risque de te servir encore longtemps, j'ai un truc à te proposer...
- Ah bon ? Tu me diras ça ! Au fait, ton nouveau bouquin. Ca se concrétise, j'ai vu le groupe sur facebook !
- (Kamel, en rigolant) Ouais, il va pleuvoir des livres, des fleyrs, ça va être une avalanche... ça va être la nouvelle drogue des gens, tu vois tous les voir en train de lire...
(On éclate de rire)
- Hey Rachid, je réfléchissais l'autre fois à ma cousine, à comment t'allais mettre son histoire en scène. A Hachim et sa descente aux enfers... Lâche moi un truc, laisse moi pas comme ça !
- Non, je dis rien de plus, je veux que tu découvres comme les autres ! Depuis le mail que je t'ai envoyé, j'ai changé pas mal de trucs, mais ta cousine reste là et Hachim aussi. Je raconte un peu son histoire t'as vu, un jeune brillant dans les études mais qui va tombé dans les stup'. La fin, personne s'y attend. Il me tarde qu'il sorte, de rencontrer à nouveau les gens, connaître les réactions !
- Tu vas me laisser en galère ? ...La patronne s'approche.
- Nawell, y a des entrées à servir, des suites à lancer. Ma chérie, speede un peu, là on va se retrouver dans le jus !
Je prends leur commande et enchaîne le service. Je m'occupe des clients, assure le service avec de l'énergie et le sourire. Kamel et Rachid quittent les lieux et me charrient. Ça m'a fait plaisir de les revoir. Une heure plus tard, le service du midi s'achève, je débarrasse les tables, redresse pour le service du soir. Il y a toujours un ou deux mecs pour laisser leurs numéros sur un bout de papier qui termine dans la poubelle. Sur une des tables collées à la fenêtre, je prends un papier, mes yeux balaient le texte. « Mademoiselle, habillée d'une belle chemise au long col, le monde est petit, nous nous sommes déjà vus, à New York, c'était début septembre. Vous étiez à la boutique M&M's, dès que je vous ai vu, vous m'avez scotché par votre beauté et ce que je ressentais. Je vous laisse mes cordonnées 06 et mon mail en espérant que ma démarche connaîtra une suite... En tout bien, tout honneur, Hafid ». Truc de ouf ! J'étais bien à la boutique M&M's en septembre pour acheter des souvenirs pour la mife ! Je me souviens du gars assis à la table, c'était un jeune, un rebeu avec des yeux clairs, il était avec un homme un peu plus âgé. NON ! Je souris, et me dit qu'il n'y a pas que des Omar dans la vie. Je prends le papier, touchée par le message, et le glisse dans ma poche.
De retour à la maison, je me cale direct devant l'ordinateur et pense au message du type. Si je lui répondais ? Non, je suis une folle ! Je mets la musique et fait tourner un son de Mc Tyer « Tout est Fini ». Sur la mélodie, je pense à mon ex-copain avant de bouger aux Etats Unis, notre histoire achevée par ses mauvais choix, je m'étais barrée d'ici à cause de lui entre autres, pour faire une croix sur cette vie. La voix de la chanteuse et le rap de Mc Tyer me font voyager dans mon histoire de love, mais il avait préféré ses combines, ses potes et ses copines. Le refrain s'échappe des enceintes de mon ordi, je suis nostalgique.
"Comment savoir que tout est fini
Peut être que l'on fait l'erreur de nos vies
Est ce qu'on en reste la
Est ce que l'on s'est tout dit ?
Comment être sur que tout est vraiment fini
Ya trop de haine alors que l'on s'aime
Y'a tant d'amour mais pourtant nos cœurs saignent
On aimerai changer mais on est les mêmes
Un jour ou l'autre on récolte ce que l'on sème"Je tourne sur les blogs littéraires, je me mets à la page sur les sorties du moment. Lis des articles. Mon cerveau chauffe, je me pose des questions, tourne en rond. Et si j'écrivais ? Si je me lançais ? La concrétisation de nombreuses années à gratter dans l'ombre. Un kiff ! Mais j'arrive pas à m'empêcher de me dire que le talent n'y est pas. De me ressasser tous les défauts de ma plume. Je regarde l'écran, fais bouger la souris mais la concentration n'est plus là, ma vision est floutée. Mon téléphone vibre, je reprends mes esprits. C'est Omar. J'ai encore la rage de ce qu'il a fait l'autre jour ! Je réponds pas, y'a trop de risques que je perde mon sang froid et que je l'amoche verbalement. T'façon j'ai plus important à faire. Je réveille la madré qui dormait, assommée par ses médoc', et on va prier. Apres les salutations finales, je lui fais un bisou sur le front et je reste un moment sur le tapis... Ya Rabbi, je te remercie des Bienfaits que tu m'accorde. De ta Générosité. Ya Rabbi éloigne moi du mauvais, approche moi du bon. Ya Rabbi, guide moi dans mes prises de décisions. Ote les doutes de mon esprit, et facilite moi dans mes projets. Amine. Ma mère s'était rendormie. Je la couvre et me pose à côté d'elle, Bic et Clairefontaine en main.
Deux heures plus tard, j'avais noirci quelques lignes. Des lignes bien sombres. Et puis au fond, pourquoi je m'entête ? J'ai jamais rien réussit, rien terminé dans ma vie. C'est pas maintenant que ça va changer. Je suis mon meilleur lecteur, parce que je suis la seule à pouvoir donner de la valeur à ce que j'écris : aucune. Je pose mon Bic et m'endors près de la madré... Demain est un autre jour. Meilleur. Je l'espère.