Chapitre 2 : partie 1

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"TOUT CE QUI SE BRISE"

Les yeux métalliques de la rue de la République. Boule au ventre. Enjambée pressée. Yeux humides et tutoyés par le froid. Mon plan ? Aucun. Ma rage ? Elle ! Je compte dire à Leïla de cesser ses actes et de lâcher mon grand frère Karim. Elle a réussit son coup. J'ai dans les mains son fameux manuscrit. Sa vie entre les canards, les UV, les soirées Chicha. J'ai rêvé d'écrire et je l'ai fait sous la menace. La michetonneuse de Saint Denis est planqué dans son fief, le salon d'UV où elle aime squatter. Trente mètres carré de cabines. Des meufs qui jurent Wallah comme elle respire et t'adresse la parole selon la couleur de tes billets. Cette fois-ci il ne s'agit pas d'un rêve. Cette fois-ci la galère ne m'a pas fait de trêve. Je m'approche du centre d'UV. Le lieu de rassemblement des Ultra-vicelardes. Une meuf pousse la porte et le son de Rihanna, Diamonds s'échappe du centre de bronzage.

"Shine bright like a diamond
Shine bright like a diamond
Shining bright like a diamond
We're beautiful like diamonds in the sky"

Téléphone en main. J'ouvre le répertoire, défile les lettres jusque son nom. Leïla. Appel.
- Wesh, t'es où ? me répond la meuf d'une voix énervée.
- Devant... (gorge serrée)

J'attends dix minutes. Deux types passent et me disent des obscénités. Je n'entends rien. Je vois plus rien. Si l'amour rend aveugle, le seum te crève l'œil. Dans la ruelle d'à coté, un groupe de mec, capuche sur la tête, joint à la main, se prend la tête. Un voisin hurle et leur demande d'arrêter. Qu'est ce que je fous là ?
- Vous faites chier avec vos grandes gueules, crie un type de sa fenêtre.
- Tu t'es cru dans la pub pour Peugeot avec la vieille et son seau d'eau ? Hey, vieux con, on va te retourner alors arrête de faire le fou !
- J'vais appeler les flics, rétorque le riverain.

Leïla arrive. Démarche de pétasse. Sourire de vicelarde. Vulgaire comme une actrice du hard. Elle tend son bras, me matte de travers.
- File moi mon livre, vite !
- Promets moi de laisser mon frère, t'as eu ce que tu voulais...
- File moi mon livre (elle me l'arrache)
- T'as eu ce que tu voulais, alors laisse le tranquille, je t'ai dis !
Je me retourne. Elle me souffle.
- Oui, barre toi bouffonne, wallah barre toi avant que je te traîne par les cheveux...
(je me retourne, énervée, furieuse)
- C'est à moi que tu parles K-sos...Crasseuse ?
- Quoi ? hey mais t'es morte dans le film, je te le dis ! T'as pris la confiance ? J'suis pas sur facebook, wallah, j'suis pas ta Nawell de la street ou j'sais pas quoi ?
Elle s'avance et me balance une patate de bonhomme. J'ai le goût du sang dans la bouche. Je n'ai pas le temps de comprendre ce qui se passe que je reçois une pluie de coups, d'insultes. J'entends la voix de sa copine, Sandrine, la kabyle mytho.
- Vas y, enchaîne la ! Elle me fout le seum, avec sa voix grave et ses tminiks.
Je tente de protéger ma figure mais elle me griffe avec ses ongles de tigresse. Je lui balance quelques coups. Elle rage.
- Ah je me suis niqué un ongle, je vais te niquer s'exclame Leïla.
Quelqu'un nous sépare et crie. Je reconnais la voix, c'est Karim ! Mon frère...
- Arrêtez, arrêtez !
Le groupe de mec se rapproche.
- La vie du petit, elle se tape la meuf !
- La Uggly Betty, elle s'est défendue.
- Non, elle s'est fait traîner. Elle se tape pour les UV ou quoi ? Trop de monde dans ce salon, c'est des oufs ces meufs.
Le groupe rigole en répétant :
- Uggly Betty, ah batard le man !
- Des barres !

Karim s'emporte et m'attrape.
- Vas y viens, on rentre !

Dans mon dos, Leïla rigole et sa bouffonne de copine surenchérit.
- Ouais, ramasse ta sœur avant que ça chauffe pour elle !
Karim ne dit rien.
Les mecs rigolent.
Dans sa voiture Karim écoute encore son Booba avec son titre Tupac.
Place du 8 mai 1945. rue Gabriel Péri. Enseignes lumineuses d'O-Sushi, du 129. Il trace avec sur notre gauche l'animation quotidienne et nocturne de Saint Denis. Ses voitures. Ses lascars. Ses enseignes de Taxiphone, épicerie et sandwicherie. Les larmes coulent sur mes joues. Sa gêne se lit dans ses mouvement, s'entend dans son silence. Je le regarde, illustré par les lyrics vulgaires de rap. Karim ? J'ai le sentiment qu'elle l'a changé ? Elle ? Depuis le lycée je ne la sentais pas ? Ma pote me le disait à chaque fois. Pourtant je ne l'ai pas cru. Je n'en peux plus de ces meufs qui parlent comme des bonhommes. Qui agissent salement et comme des crapules. J'ai tout laissé pour qu'elle lâche mon frère. Il freine au pied du Crédit Lyonnais et va retirer de l'argent au distributeur. Il revient, reprend la route et fonce jusque la cité. Au pied du bâtiment il me jette des billets.
- Tiens les cinq cents Euros que je te devais depuis plusieurs années, tes cadeaux d'anniversaire, toutes tes merdes ! Je te dois plus rien. Plus rien !
- Pourquoi tu me les rends, je t'ai jamais rien réclamé. Rien !
- Je m'en fous, je ne veux rien de toi ! Rien ! me crache à la gueule Karim. Son haleine sent l'alcool.
- Mais Karim...comment tu peux faire ça et me les jeter comme ça. Je t'ai jamais réclamé quoi que ce soit, t'es mon frère....
- Descends ! Descends !
- Comment tu me parles ? Tu te rends compte ? Maman nous a mis au monde, on a le même sang et tu te laisses manipuler ?
- T'sais quoi, lâches moi. J'suis plus posé que toi. Wesh, tu vas t'embrouiller avec Leïla. J'sais pas ! t'as craqué ou quoi ?
- Craqué ? Mais Karim, tu fréquentes v'la le machin. T'as tout pour être avec quelqu'un et toi tu vas chercher une fille VIP dans les chicha et les plans galères. Tu crois quoi ? Tu vas choisir cette fille alors qu'on a grandit ensemble. On est frère et soeur...Karim j'suis ta sœurette.
- Soeurette, PFFF, soupire mon frère. Hey, j'suis un bonhomme moi ! J'suis un vrai bonhomme, je gère la famille depuis toujours. Tes rêves de livres. Tes stages, ton voyage aux Etats Unis, tu as pu les faire grâce à qui ? Même ton taffe au Mac Do !
- Tu crois que c'est mortel le Mac Do ? T'sais quoi, tellement que je te kiffe, je suis venu taffer là bas. Crois moi j'aurai pu aller au Starbuck ou n'importe quel autre taffe.
- Ouais, t'as cru que t'étais Ayem ou quoi ?
- Ayem ? Tu me parles de meufs de la télé-réalité, c'est ça tes références ? Tu es en kiffe sur une meuf qui rêve de devenir comme ces Ayem, Nabila etc. Alors reviens sur terre, remets toi à faire la prière d'abord ça te fera du bien !
- Qu'est ce que tu me parles ? Tu veux me juger ? Déjà occupe toi de toi avant de me raconter ta vie ! T'as cru que t'étais parfaite ou quoi ? T'as fait quoi pour moi ? - - Quoi ? Comment tu peux dire ça ? je ne te juge pas, tu crois que je t'ai pas grillé à fumer et boire, à te tuer au shit et à l'alcool comment en deux mois tu as pu partir en vrille ? Comment ?!
Je pleure et ouvre la porte.
Les paroles de l'autre rappeur me cognent et me concernent.

« On pense a toi a chaque seconde
Du mal a croire que tu n'es plus de ce monde
On me dit qu'avec le temps j'irais mieux
Sombre est l'équipe mais ta lumière éclaire les cieux
Dans mon rêve bien sur ça terminait mieux
Je ne te vois plus nul part sauf que je ferme les yeux »

Je rentre à la maison. Maman a le téléphone collé à l'oreille. Elle a Free, elle a tout compris et reste connectée au bled H-vingt quatre. Je file dans ma chambre, me tire les cheveux de rage. Pleur, visage rouge. Je m'effondre dans mon lit et gémit, la tête dans mon oreiller.
- Karim...Karim... Pourquoi tu me fais ça !

Quand tu te fâches avec un être cher, tu es blessée dans le plus profond de ta chair.
Un voile de tristesse s'est posé sur mon visage, un poids d'une tonne à l'intérieur de mon crane. Entre le moment où t'es gamin et celui ou tu deviens adulte, un gouffre de malentendus ou les actes de gens extérieurs peuvent détruire la plus belle des relations. La fraternité. La vie est pleine de défaite. Et je me demande comment ouvrir les yeux à Karim ? Comment faire qu'il cesse de la fréquenter ? Comment tout ça a commencé. Comment tout ça a dégénéré ? Pourquoi je n'ai pas capté dès le départ de cette histoire. Pourquoi ?

J'ai dans la tête, la chanson de Rihanna, Diamonds.

Musiques :
Rihanna, Diamonds
Booba, 2Pac

Livres A lire :
Kiffe Kiffe Demain, Faiza Guene.
Autobiographie de Diam's.
Flic Ou Caillera, Rachid Santaki.

Chronique de Nawell : Plume de la StreetOù les histoires vivent. Découvrez maintenant