"En fait, rien n'est définitif, figé ou acquis. Rien, si ce n'est la mort."
- Nawell ! Eh Nawell ! Lève toi là c'est 15h ! Tu nous tape un coma ou quoi ? Maman est chez Habiba elle nous attend !
On me secoue. J'ouvre difficilement les yeux. Une fois, puis je les referme. Puis les rouvre. La lumière entre et me pique les yeux. C'est pas Hafid, c'est pas sa voix ... C'est la voix de... Oh mon Dieu ! Je rêve ou c'est sa voix que j'entend ? Maman nous attend ? Karim ? Quelques secondes me sont nécessaires pour faire le lien entre la voix que j'entendais, la situation, le pourquoi du comment. Et puis je sursaute ! Oui, Karim est bien là. Il rigole et me caresse le dos :
- Eh ben ! Qu'est ce qui t'arrive la reuss ! On dirait que t'as vu un mort ! Vas y lève toi bagra! (La vache!)
- Karim ?
- Oui !
- On est quelle date?
- Comment ça ? Wesh le sommeil t'a rendu amnésique ou quoi ?
- Dis !
- Mars ! Le 10 Mars
- De quelle année ?
- 2012 ! Oh vas y lève toi tu me fais mal à la tête, j'ai compris ton manège mais tu viens avec nous ! Tu sais que j'aime pas les examens déjà, toi non plus, mais je te donne pas le choix ! Si faut souffrir c'est tous ensemble !Je me lève de mon lit. Je regarde autour de moi. Rien a changé, je suis bien chez moi. Je sors de ma chambre et vais dans celle de Karim. C'est bien la sienne, elle a pas bougé... Un carton de pizza traine sur sa table basse, tout va bien ! Je comprends rien. Je m'habille, et sors avec lui. On monte dans sa voiture... Jalel et la bande nous tchek, puis on part. Rachid Santaki a bombardé Saint Denis de boards pour son nouveau livre « Des chiffres et des litres ». Les élections présidentielles arrivent à grands pas, ça se voit aux flyers qui foulent le bitume tous les dix mètres. Je galère à remettre tout en ordre dans ma tête. Y'a quelques minutes j'étais en voiture avec Hafid, et me voilà près de mon frère...
- Karim ?
- ( Il conduit et mache son siwaq) Oui soeurette !
- On va où ? De quels examens tu parles ?
- Elle t'a pas dit Maman ?
- Non. Dire quoi ?
- (Il tourne la tête vers moi une ou deux secondes et puis reprend sa concentration dans sa conduite) T'es pas nette toi aujourd'hui ! Tu t'es enfilé 20h de sommeil t'as perdu la boule.
- Non je te jure, je sais pas de quoi tu parles !
- Ben, j'ai pris rendez vous, on doit me faire des examens par rapport à mes douleurs et mes vertiges. Et voilà quoi...
- T'as mal où Karim ?
- Dans le ventre le plus mais je sais pas, c'est chelou.
- Le foie hein ? T'as mal au foie !
- Peut être bien que c'est le foie Nawell, je sais pas, me stresse pas, j'aime pas ça déjà !
- Karim ?
- Nawell, je vais te fracasser contre le pare brise !
- Qu'est ce que t'as ?
- (La voix tremblante) Tu... Tu connais un Hafid ?
- (On arrive devant chez Habiba, la copine à ma mère. Il met le frein à main et se tourne vers moi, mâchouillant comme un gosse son baton) Alors comme ça tu connais Hafid toi !? Et de où mademoiselle !?
- Non, je te jure, je le connais pas ! Parle moi de lui s'il te plait, s'il te plait me pose pas de questions !
- C'est pas compliqué. Son frère Soso s'est fait descendre y'a pas longtemps et il est déter à coincer celui qui a fait ça. On a des soupçons sur un gars, et voilà quoi. Ca fait un moment que je l'ai pas vu d'ailleurs. Un gars tranquille, posé, intelligent. Tu veux te marier avec ? T'as ma bénédiction ! (Il rigole)
- (Je souris de force) Non pas du tout. Ne t'en fais pas... Je t'aime beaucoup mon amour de frère, tu le sais ?
- Oui je le sais tu me le dis tous les jours ! Il t'arrive quoi toi ? T'as les yeux encore collés, tu me tape des phases suspectes !
- Je suis mal réveillée... j'ai fait un rêve chelou laisse tomber !
- Ouais ben je veux pas savoir ! C'est pas bien de dire ses rêves ! Si il était mauvais demande à Allah te t'en préserver, si il était bon, demande à Allah te t'en approcher.
- Alors je vais demander à Allah très fort de tous nous en éloigner...
- Amine ! Allez viens, on monte chercher 'Man.Les larmes se mettent à couler sur mes joues. Je reste immobile. Je me rends compte que j'ai révé, oui c'était un rêve, mais tellement réel que le retour à la réalité est brutal et lourd ! Hafid existe vraiment, son frère s'est fait tué tout comme dans mon autre monde, seulement il n'est désormais plus rien pour moi, je ne suis rien pour lui, et puis est-il le même ici que celui que j'ai connu ? Et encore, ce n'est pas lui qui me fait le plus de peine : c'est Karim ! Pourquoi des examens à l'hôpital ? Oui c'était un rêve, mais un rêve qui semble devenir réalité. Il a mal au ventre, et dans mes songes il est mort à cause de son foie. Je suis parano... Est ce que c'est prémonitoire ? Seul Dieu sait. Karim était sorti de la voiture, il est maintenant de retour sur son siège, inquiet...
- Nawell, ca va pas ? Tu vas pas bien ?
- Si Karim. Ca va...
- Non ca va pas. Dis moi...
- Je t'aime Karim. Je t'aime, je t'aime, je t'aime. J'ai peur parfois, j'ai peur que tu sois plus là. J'ai peur que tu me laisse Karim, ou que Maman me laisse. Je sais que Dieu est Juste et qu'Il aime celui qui patiente, mais j'ai peur quand même. Tu me vois comme une folle, tu te demande ce qui m'arrive de penser à ça, mais je peux pas te dire ce qui me prend. Tu me laissera jamais tomber Karim, hein ?
- (Les yeux grands ouverts, perturbé) Viens dans mes bras soeurette ! (Il me serre contre lui) Je suis là, je suis ton pilier, comme tu es le mien, et Maman est notre base. On reste ensemble, quoi qu'il arrive, quoi qu'il advienne, quoi que Dieu décide, nos cœurs s'aiment, nos âmes s'aiment, tu l'a dit toi même, Dieu est Juste, faut qu'on soit de bonnes personnes, qu'on reste droit, et qu'on garde toujours cet espoir qu'on restera unis ici bas et dans l'au delà. N'ais pas peur de ce qui est décidé par le Très Haut, ais peur de toi même ! Ais peur de ta colère, de tes mauvais ressentiments, ais peur de tes mauvais actes ! Mais ne crains pas les décisions d'Allah car tu sais bien qu'Il ne cherchera jamais à te causer du tord. D'accord ma chérie ?
- (Je renifle) Oui... Excuse moi, j'ai vraiment fait un mauvais rêve...
- Oui ma sœur, un mauvais rêve...Nawell - Plume de la Street.
Je termine avec ce texte qui résume assez bien le message que je voulais faire passer au travers de cette chronique.
« (...) On vit dans un monde étrange. On croit détenir une chose, on pense qu'elle nous appartient parce qu'on a oeuvrer dur et fort pour qu'elle soit nôtre, on veut pouvoir en profiter comme il se doit, et on oublie qu' elle peut nous échapper en un clin d'oeil. Nous glisser d'entre les doigts et, tout comme l'eau, devenir insaisissable à tout jamais, sans autre forme de procès. On vit dans un monde étrange. On est persuadé de l'irrévocabilité d'une décision, sûr que jamais rien ne sera plus comme avant, et puis on se lève un jour et se rend compte que meilleur est possible avec un peu de bon vouloir et de bon sens. On vit dans un monde étrange. Dans nos moments de joie on a aucune peine à assimiler que tout est bon à prendre, que chaque chose contient un bien, pourtant quand le malheur arrive, nos larmes sont uniquement remplies de douleur, de colère, d'incompréhension. On vit dans un monde étrange qui nous fait croire qu'on peut être maître de ce qui nous entoure. Peut être bien... Pourtant au final, quoi que l'on fasse, pense, se dise, le constat ferme est que rien n'est définitif, figé et acquis. Rien, si ce n'est la mort. » (Ldcn)