Partie 18

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Et on fait le bilan, calmement, se remémorant chaque instant. Parler des histoires d'avant comme si on avait cinquante ans"

La nuit est tombée depuis bien longtemps. Je marche dans la tess, me dirige vers mon bloc. Les grands sont là, je ne les vois pas mais j'entends leurs rires ! Et puis quelques mètres plus tard, je les apercois, sur un banc, en train de fumer...

- Salam alaikoum les frères, ça va ? Ca fait longtemps, j'allais lancer un avis de recherche ! Je vous ais entendu rire du tro-mé bande de ouf !
- Alaikoum salam. (Un d'eux me dit) Ben ouais, on taffe ces temps ci. Du tro-mé elle nous a entendu rire, c'est bien une marocaine celle là ! L'exagération ! Direct ! (Un autre me dit) On parlait de Carpette à la base, après c'est parti en sucette !
- Ouaaaaaaaaaah Carpette ! Mais il est où lui ? Il s'est fait pé-cho ca y est ou quoi ?
- (Ils recommencent à rire) Belek il s'est fait tèj, plus de nouvelles, on se met à travailler quelques jours et voilà le bordel que ça fous à la té-ci !

Je golri. « Carpette », c'est un blédard, il s'appelle AbdelMalik à la base. Mais tout le monde l'appelle Carpette parce que son cousin l'a fait rentré en France en l'enroulant dans un tapis. Il a mangé les 12h de route qui séparaient le Maroc de l'Espagne debout comme un piquet. Pendant des mois, il s'est caché chez son cousin. Mais il a vite prit la confiance et commençait à faire le beau gosse et raconter son histoire à tout le monde, comme Usuain Bolt conterait un de ses records du monde. La police l'a repéré. Ils ont fait plusieurs descentes pour l'attraper, mais toute la cité s'est levée ! Ils repartaient bredouille chaque fois ! Apparemment, ils ont réussi à mettre la main dessus... beslema Carpette !

- Meskine Carpette ! Et vous vous souvenez de « In Extenso », des barres ce gars !
- « In Extenso » ? AH OUAIS ! Lui, c'est un niqué ! (Un autre dit) C'est qui lui ? (Il répond) T'habitais pas là frère encore ! Nawell elle a une mémoire d'éléphant ! C'est ce batard de Karim qui l'appelait In Extenso, il était arrivé du bled avec Mourad, ton voisin du 10ème étage. Ouesh, Mourad et ses frères l'ont mis dans le coffre de leur vago ! L'angoisse à la douane je te raconte pas. Les douaniers ont commencé à vider mais tu les connais ces flémards, ils ont pas tout sorti, il a passé la main au fond. Putain, il a touché la jambe du type, et pour pas se faire griller, il a fait coulisser sa jambe, ze3ma c'est une valise ! Mourad et ses frères suaient comme des haloufs de peur, Hamdoullah les douaniers ont refermé. Ils sont montés dans le bateau, ont sorti du matos du coffre pour lui laisser de la place et ils étaient tellement soulagés de pas s'être fait prendre qu'ils ont fermer les portes et sont montés, ils ont oublié de laisser une fenêtre ouverte ! 8H de bateau le reuf ! 8H ! Quand ils sont descendus, ils ont pété un plomb, les vitres pleines de buées sahbi ! Ils ont cru qu'il était mort ! Le keu-mé était à l'agonie, il avait retiré son t-shirt mouillé tellement il avait sué et il avait rebu ce qu'il avait pu récupérer de sa propre flotte ! L'enfoiré de blédard ! Il est resté jaune pendant une semaine le keu-mé ! Quand Mourad nous avait raconté ça, Karim l'avait surnommé In Extenso, ze3ma les valises te3 Auchan !

On est morts de rire ! On se remémore les histoires des barges qui sont passés par ces murs. On en a vu passer des blédards, quand on y pense...

- Bon, je rentre, à bientôt la famille !
- (Jalel, un d'eux, me dit) Attends, je t'accompagne, faut que je te touche deux mots !
- Ca marche.

Je les salue et je rentre dans mon bloc. J'appelle l'ascenseur et on monte...

- Qu'est ce qu'il y a Jalel, rien de grave j'espère !
- Je sais pas à toi de me dire ! Ca va ? T'as l'air fatiguée !
- Ca va Hamdoullah, t'inquiètes. La madré est à Toulouse, ca fait bizarre de gérer, c'est tout !
- T'es sure ?
- JALEL accouche, qu'est ce qui a !

L'ascenseur s'arrête, on sort.

- (Il lache un sourire) Ok, d'accord. (Il sort de sa sacoche une enveloppe et une boite) Tiens, c'est pour toi. C'est bientôt ton anniversaire, on est en avance, mais avec les gars, on part quelque temps, on a trouver du taffe plus loin, je sais pas quand on revient. Tu l'ouvres une fois rentrée ! Allez, j'y vais, les gars m'attendent.
Merci Jalel, et merci à vous tous ! C'est trop gentil !
De rien petite sœur ! Bonne nuit ! Au fait, Dounia te passe le salam !
Ah merci, repasse lui !

Il lache un « Pff » il golri, me tapote l'épaule et s'en va. Je rentre à la maison, mange, me douche et prie. Puis je prends l'enveloppe et la boite. A vrai dire, le fait qu'ils m'offrent un cadeau ne m'a pas surprise puisque ils m'offrent un cadeau à mon anniversaire tous les ans depuis que mon frère n'est plus là. Je ne comprends pas pourquoi puisque je ne l'ai jamais fété et que Karim n'aimait pas ça non plus, et je cherche pas à comprendre, la première fois qu'ils m'ont tendu un cadeau et que je leur dit que c'était nul les anniversaires, Salah, un des grands, avait dit : « Pendez la cette petite ! Wallah on va la pendre ! Ils m'ont fait cassé ma tirelire pour une casse cou*lles ! Je vais la pendre avec le fil de l'emballage ! » Ils étaient pliés de rire, et ils m'ont mis de force le cadeau dans les mains. Alors je dis plus rien, je trouve l'attention plus que gentille. Je connais pas beaucoup de monde qui pourraient se vanter d'avoir un entourage comme le mien. Je sais la chance que j'ai et j'en profite pas. Je ne veux jamais oublier la valeur d'une sincère présence ou d'un bon conseil. J'ouvre la boite : c'était un bracelet en or ! Il m'a eu ce Jalel ! Il m'a bien eu ! Il était venu me voir y'a quelques jours et m'avait trainé dans une bijouterie, soit disant pour offrir un bijou à sa meuf « Dounia » ! Je lui avait dit de choisir ce bracelet ! Mamaaaaaaan, l'enflure ! Je le mets de suite à mon poignet, c'est une tuerie ! Et puis j'ouvre l'enveloppe... c'est une lettre. Le coup de la lettre, j'y avais pas eu droit encore... Je m'allonge et la lit.

« Petite Nawell,

Je suis sure que t'as ouvert le boitier avant de lire la lettre, c'est un truc de meuf le matérialisme. Et juste après t'as du insulter Jalel parce qu'il te l'a bien mise à l'envers : l'insulte gratuite, ça aussi c'est un truc de meuf ! T'as eu ton cadeau un peu en avance, parce qu'on sera pas là le jour de ton anniversaire. Ces quelques lignes pour te dire qu'on était content de te voir de retour parmi nous, les States c'est pas un endroit pour toi ... Fais attention à toi et à la reum', si y'a besoin, tu connais les numéros, hésite pas.

Signé : tes reufs ! »

Ils sont dingues, je les kiffe ! Je pose la lettre sur ma table de chevet et fais tourner le bracelet sur mon poignet. Il est vraiment magnifique. Mon téléphone vibre, je le check : mon cousin Mouhssin me demande à quelle heure j'arrive à Toulouse le lendemain. Je lui réponds et m'endors. Demain, in cha Allah, un long voyage m'attend. Et surtout, je vais retrouver la madré. Elle me manque.

Chronique de Nawell : Plume de la StreetOù les histoires vivent. Découvrez maintenant