Prince et Dragon - Tome 1 : Ixen [TERMINE]

Complot - partie 1 (VERSION 2)

Le hall d'entrée était grandiose. Il aurait pu contenir la maison d'Ennris sans mal sous ses voûtes de pierre hautes de trois étages. Les rayons du couchant inondaient la pièce à travers de somptueux vitraux et coloraient le carrelage d'une large palette. Des tapis bordeaux cassaient leurs rayons, entrecoupés de piédestaux et de leurs bustes raffinés. La famille Noithcœur avait un goût certain pour la décoration... et l'étalage de leur richesse.

Au fil des corridors tout aussi luxueux, dont je comptais de nombreuses tentures au rouge vif du royaume Sud, Domenic ne tarit pas d'éloges sur la haute stature du prince. Bien qu'il l'ignorât copieusement à notre arrivée, ce revirement ne sembla déranger ni Rian ni Nessa qui suivaient la marche sans dire mot. Erich se laissa même prendre au jeu, roucoulant tel un naïf devant les belles paroles du vieux roi. Je craignais que ces nombreux ronds de jambe ne ramènent le prince capricieux que j'avais réussi à adoucir au fil de ces dernières années.

Je soupirai, usé par cette simple pensée, tandis que des domestiques nous ouvrirent les portes de la salle du banquet. Jusqu'ici, le château m'avait offert un spectacle grandiose, mais je déglutis en découvrant cette dernière pièce. Elle me rappelait amèrement une vieille cathédrale que j'avais occis de mes flammes lors de ma précédente vie. Mes relations avec les religieux des peuples terrestres furent toujours houleuses... même si je les aurais volontiers abrités sous mes ailes s'ils n'avaient tous de cesse de prêcher pour leur paroisse, quitte à détruire violemment les croyances d'autrui.

J'inspirai profondément en admirant, malgré mon mal être, les hauts plafonds et leurs imposants lustres pailletés d'or. De robustes chaînes d'acier les reliaient à la pierre sombre. Là encore, des vitraux hauts de trois étages laissaient les rayons du couchant déverser leur lumière réconfortante sur les nombreuses tables du banquet. Ils représentaient tantôt des paysages, tantôt des scènes de chasse. Je grimaçai alors que l'un d'eux dessinait de ses verres colorés un roi qui plantait sa lance dans le cœur d'un dragon. Les Dorsükiens sudistes affichaient sans honte leur révulsion envers les miens... et le peuple askazien qu'ils avaient chassé de ces terres quelques années auparavant.

— Tu es tendu, fit remarquer Nessa à ma droite.

Je coulai un regard inquiet aux alentours... et me rassurai de voir les deux rois ainsi qu'Erich occupés à discuter deux mètres plus en avant. Personne n'avait prêté l'oreille aux mots de la demoiselle.

— Je n'ai jamais cru au dieu unique à l'effigie humaine, avouai-je à la princesse avant qu'elle se vexât de mon silence. Et si on enlève toutes ces tables de victuailles, cette salle me rappelle un lieu de prière.

Elle me jaugea du regard, puis observa les hautes voûtes de la pièce. Elle fixa un temps les lustres qui surplombaient les longues tables du banquet, puis examina la salle. Son regard de faucon scruta chaque convive qui discutait çà et là un verre à la main, décryptant sûrement leur gestuelle et les réactions de leur auditoire.

— Je n'y crois pas non plus, avoua finalement Nessa. Mais ne le répète à personne. Notre mère est très croyante.

Je fronçai les sourcils et l'observai, perplexe. Elle sourit, apparemment bien amusée par ma réaction.

— Ixen ! gronda soudain Erich.

Dans un sursaut, je croisai son regard de suie. Debout autour d'une table haute, il se tenait au côté de Rian et Domenic qui sirotaient un verre de vin.

— Viens donc ici au lieu de rêvasser à l'arrière, ajouta-t-il en me faisant signe d'une main.

J'obéis dans un sourire, bien qu'intérieurement, j'enrageais qu'il me hélât tel un vulgaire chien. Les éloges de Domenic avaient donc plus de valeurs à ses yeux que ces trois dernières années de confiance et de bons conseils. Certes, j'étais resté à cause de mon âme fissurée, mais je m'étais attaché à ce jeune humain dont j'avais finalement modelé le caractère.