Prince et Dragon - Tome 1 : Ixen [TERMINE]

Jeu temporel - partie 3 (VERSION 2)

AHEDAN

Quand il se réveilla, Ahédan se sentait en paix. Allongé dans un lit douillet, la douce chaleur du corps de sa femme blottie dans ses bras apaisait son âme. Il n'avait pas ressenti cela depuis si longtemps. Il huma ses cheveux couleur des blés si rares chez les Askaziens... et sursauta.

Pourquoi se souvenait-il d'avoir passé tant d'années sans elle ?

Perplexe, il lâcha prise et se redressa. La chambre autour de lui n'était pas celle du Darakan. Les murs de pierre et le mobilier luxueux témoignaient d'une bâtisse tout autre.

— Margus ! souffla-t-il horrifié.

Une main sur le front, Ahédan se sentit soudainement fiévreux.

Il se souvenait de tout !

Ixen, Aimeric, la mort du jeune Erich... mais plus inquiétant, l'attaque à venir de Domenic contre les siens pour le chasser hors de Dorsük.

— J'ai bien envie de maudire ta sœur, Ixen, maugréa-t-il en se massant les yeux.

Malgré ses désirs charnels plus qu'éveillés en cette matinée, Ahédan sauta hors du lit. Il s'habilla prestement d'une tenue en cuir et fourrure typique de Dorsük. Il caressa le pelage de l'animal mort, une pointe de nostalgie au cœur.

Je me serais bien passé de revivre cet enfer, pensa-t-il en glissant un œil aux hautes fenêtres de verre teint. Mais peut-être puis-je minimiser les pertes en sachant ce qui nous attend ?

Il coula un dernier regard à sa femme assoupie et sortit de leur chambre.

Son corps revenu dans sa douce jeunesse lui paraissait léger et robuste. Il arpentait les couloirs du château de pierre sans que son dos crie de douleur ou que ses genoux lui rappellent de ralentir le rythme.

Il croisa des domestiques à la peau claire qui le saluèrent avec respect. Leurs révérences restaient néanmoins celles des Dorsükiens. Ahédan ne se souvenait guère de ses journées d'antan à Margus. Il n'y avait vécu que peu d'années, pensant consolider son emprise sur la région avant de revenir au Darakan... mais les évènements ne s'étaient pas déroulés comme il le pensait. Domenic s'était allié avec Rian pour le prendre en tenaille.

Devrait-on partir avant que le conflit n'éclate ? se questionna le seigneur des cieux alors qu'il arrivait devant la haute porte qui gardait l'entrée du château. Ou bien devrais-je mettre Rian dans ma poche avant que Domenic ne le fasse ?

Ahédan soupira bruyamment. Il ignorait en quel jour il était remonté... peut-être Velt et Noithcœur étaient-ils déjà alliés ?

Il contemplait les hauts battants de l'entrée, quand Markhar, suivit d'une petite troupe, les ouvrit dans un grincement sinistre.

— Maître Ahédan ! clama-t-il en le saluant d'un poing sur la poitrine.

Son bras droit, ressuscité par le don de Lazrie, était si jeune qu'il en sentit un pincement au cœur.

— Une missive vient de nous informer que des troupes à l'étendard des Noithcœur ont causé du grabuge dans un petit village à la frontière sud, ajouta-t-il en s'arrêtant à un bras de son maître.

Les premières manœuvres de Domenic, Ahédan s'en souvenait parfaitement. Son royaume dorsükien, coincé entre celui de Rian au Nord et le petit lopin de terre de Domenic au Sud, il avait préféré jouer la carte diplomatique par le passé... Allait-il réitérer cette tentative vaine ?

Non ! Qu'il resta passif ou agressif, la réponse de la famille Noithcœur serait toujours la guerre tant qu'ils vénéreraient les dragons.

Autant se défendre avec fierté avant de mettre les voiles, pensa-t-il.

Il clama ses ordres aux guerriers, qui ne semblaient guère se rendre compte que l'histoire recommençait, quand des cris résonnèrent de la place du marché. Dérouté, Ahédan fixa Markhar. Il ne se souvenait pas d'une attaque directe au centre de Margus.

Que se passait-il ?

Sans attendre davantage, il fonça à l'extérieur en compagnie de ses guerriers.

Dehors, les citadins étaient en proie à la panique. Les Dorsükiens courraient en tous sens pour se mettre aux abris, tandis que les Askaziens s'agenouillaient à même le sol. Le marché matinal était une cacophonie incompréhensible... quand Ahédan leva les yeux au ciel.

— Des dragons ! souffla Markhar en écho de ses pensées.

Deux silhouettes massives tournoyaient au-dessus de la ville, leur ombre dansant sur les bâtiments et flancs de falaises. Le soleil l'éblouissant, Ahédan ne savait reconnaître les deux spécimens. Mais il avait une idée à ce sujet...

— Ixen ! gronda-t-il.

À ses mots, l'une des ombres se figea. Elle obscurcit un temps la place de sa masse colossale, avant de piquer vers eux. La foule s'affola, tandis que le dragon se rapprochait dangereusement. À présent plus proche, Ahédan discernait clairement ses écailles carmin dont les rayons de soleil leur donnaient des reflets sauvages.

Soudain, le dragon ouvrit ses ailes et arrêta son vol de puissants battements d'ailes. Les bourrasques soulevèrent des nuages de poussière et arrachèrent plusieurs tentures du marché, alors qu'il se posait tant bien que mal sur les pics rocheux qui bordaient le château. Le tremblement fit sauter la cascade hors de son lit et arrosa le parvis de son eau fraîche. Markhar s'interposa d'un bond, offrant un minimum de protection à son maître contre cette douche froide. Son acte lui rappela amèrement son sacrifice dans le vieux palais d'Aranir, sous les flèches ennemies.

— Mes excuses, déclara le dragon rouge de sa voix caverneuse.

Ahédan chassa ces sombres souvenirs à présent effacés et afficha un sourire.

— Heureux de te revoir, Ixen.

Le dragon haussa ses sourcils écailleux. Il le jaugea un moment, ses prunelles d'azur observant tantôt sa personne, tantôt la foule au sol.

— Ma mémoire me fait défaut, avoua-t-il finalement.

— La mienne est on ne peut plus claire... et vieille. Viens-tu nous aider à nouveau contre Domenic ?

Il en ignorait la raison exacte, mais contempler la mine déconfite d'Ixen le fit rire.

***

Ça ne se passe déjà pas trop comme prévu. ^^

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