Prince et Dragon - Tome 1 : Ixen [TERMINE]

Plumes divines - partie 3 (VERSION 2)

Les années fatiguaient tant Ennris que l'arrivée du prince sous son toit manqua de lui faire renverser son alambic. Le matériel chancela dangereusement avant que je l'arrête de ma magie.

— Vous devriez vous asseoir pour travailler, lui conseillai-je en m'approchant.

— Pour dépérir encore plus vite ! souffla-t-il en me chassant d'une tape sur l'épaule. À mon âge, je dois prendre soin de bouger un minimum. Mais filez donc surveiller votre œuf, prince Erich.

— Où souhaitez-vous le faire éclore ? m'enquis-je alors que le prince s'avançait vers les escaliers qui montaient à ma chambre.

Il s'arrêta et me coula un regard dérouté.

— Et bien, hésita-t-il un instant, là où il est en ce moment.

— Vous ne pouvez pas rester dans ma chambre toute la nuit !

Ennris se racla la gorge, histoire de dissimuler un sourire derrière sa main. Le prince avait décrété qu'il patienterait jusqu'au petit matin dans ma piètre chambre et ce vieil homme ne trouvait rien de mieux que de se payer ma tête !

— Ma présence te dérange ? grommela Erich.

Je ne sus comment lui expliquer le problème alors qu'il pénétrait déjà dans la pièce à coucher. Dans un soupir, je me résignai à le rejoindre.

— Agnès te fera sûrement une place dans sa chambre si le prince occupe ton lit, m'assura Ennris qui se croyait réconfortant.

La situation était ridicule !

Je n'allais tout de même pas dormir avec une femme d'âge mûr parce que le prince décidait d'envahir mon espace d'un claquement de doigts. Il ne parviendrait pas à trouver le sommeil sur ce sommier au matelas quasiment inexistant, et il en serait de même pour moi à me retrouver coincé contre Agnès.

L'air grognon, j'entrai dans ma chambre et refermai derrière moi. Mon exaspération grimpa derechef alors que je découvris Erich qui tirait mon bureau dans un coin de la pièce.

— Que faites-vous ?

— Je fais de la place pour l'éclosion, m'avoua-t-il avec calme.

Déposé au centre de la chambre, sur sa couverture maladroitement repliée, il avait déjà bien assez d'espace sans déménager mes meubles. Je ne possédais qu'un bureau, un chevet et un simple lit ! Bon sang... il avait même poussé ma bassine sous ma couche. En quoi privait-elle l'œuf de place en restant sur le bureau ?

Bien que furieux, je contins ma colère et m'assis sur mon lit avant qu'il n'ait l'idée de le sortir.

— Tu pourrais m'aider, ronchonna le prince qui calait enfin mon pupitre dans un angle.

— Pour faire n'importe quoi ? soufflai-je un peu trop abruptement.

Erich fronça les sourcils, plus dérouté que furieux contre mon humeur orageuse. Il se redressa et vint s'asseoir à mes côtés.

— Tu n'apprécies vraiment pas que je reste ici, déclara-t-il, le regard perdu sur l'œuf.

— Ce n'est pas votre personne même le problème, sifflai-je. Mais vous vous imposez dans ma chambre alors que je n'ai qu'un seul lit.

— Si c'est cela qui te tracasse ne t'inquiète pas, je ne comptai pas dormir. Il est hors de question que je rate l'éclosion de cet œuf. Il paraît que les oisillons considèrent comme leur parent le premier être qu'ils voient. Je dois être éveillé quand il ouvrira les yeux.

À la différence que nous attendions la venue au monde d'un griffon et non d'une simple volaille. Ces êtres, aussi rares que majestueux, n'étaient pas si simplets. Leur instinct de prédateur faisait dès la naissance la différence entre les proies dans leur nid et leur mère qui les veillait au-dessus. Plus que le prince, je devrais être éveillé et prêt à prendre possession de l'esprit de l'animal quand il éclorait. Je proposai donc à Erich de se tenir mutuellement éveillés autour d'un jeu de cartes. Il sourit, sûr de lui en imaginant un de ces bons vieux duels qu'aimaient les nobles de son royaume, mais je lui sortis une tout autre distraction. Je ne lui en dis mot, mais ce jeu de cartes était une copie de celui que les dragons adoraient. Il mêlait la roue des éléments magiques avec des invocations de pions représentant les races du monde. Je pris garde d'éliminer des cartes celles dont les royaumes de Velt et ses alliés ignoraient encore l'existence... en d'autres termes : beaucoup !