Mon rêve se poursuivit.
L'eau visqueuse et salée emplit mes poumons. Soudain, un courant glacé me propulsa contre la paroi rocheuse, qui bougea.
Elle se détacha complètement de ma main. Une gigantesque nageoire manqua de me heurter.
Brusquement, je retrouvai ma respiration. L'eau putride de sang de poisson en décomposition se désengorgea de mon système. J'avançai un bras, mes jambes et nageai ainsi jusque de l'autre côté de la fosse marine, sans plus prêter attention à la pieuvre qui devait se trouver quelque part au-dessus de ma tête. Une fois éloignée, je me retournai pour voir à quoi ressemblait ce que j'avais cru être une paroi rocheuse.
Ce fut une image terrorisante. Je cessai de respirer, le cœur cognant comme s'il cherchait à sortir de ma poitrine.
Un immense requin avait fait un quart de tour sur lui-même et me faire face.
D'une trentaine de mètres de long, le monstre était massif et gris, tel de l'ardoise. Ou de la roche.
Cette vision me paralysa. Les relents de poissons pourris l'avaient-ils attiré ?
Quelle importance ? J'allai mourir.
Je m'éveillai en sueur, le corps tordu, l'oreiller et les draps froissés comme s'ils avaient été le terrain d'un champ de bataille. J'étouffai, râlai, m'asphyxiai.
Après de longues minutes, ma gorge se dénoua et mes narines se remplirent de l'air tiède du studio. Dans l'obscurité, je m'obligeai à ouvrir grands les yeux. Les crissements des grillons achevèrent de calmer le flot de pensées qui m'avaient assaillie.
Mon appartement était plongé dans le noir, malgré la lumière diffuse d'un réverbère qui filtrait par les interstices du store. Sur une expiration qui vida la totalité des réserves d'air de mes poumons meurtris par ma respiration saccadée, je me levai lentement.
Un café.
J'avais besoin d'un café et de parler à Sven.
*
A vingt-et-une heures le lendemain, Minoru confirma notre rendez-vous. Je l'attendis au parc, assise dans l'herbe, éclairée par les rayons jaunes d'un réverbère électrique. Sous l'action du printemps, des arbustes non émondés jonchaient encore les pelouses. Dans quelques jours à peine, les gazons seraient verts et fleuris.
Ma discussion avec Sven n'avait pas dilué toutes mes angoisses. J'avais besoin de voir Minoru, même si à cette pensée, mon cœur partait en chute libre. Je devais être odieuse de lui proposer de me rejoindre alors qu'il pouvait à tout moment me chuchoter ce que je ne voulais pas entendre. C'était pour cette raison que j'avais également invité Ryôta, histoire d'éviter tout malentendu.
Le cauchemar m'avait bouleversée et ils étaient les seules personnes à pouvoir me changer les idées en un claquement de doigts... Ou d'herbe.
Devant moi dans la pénombre, deux longues silhouettes se découpèrent à la lumière des réverbères. Minoru et Ryôta étaient reconnaissables à leurs allures de loubards, à leurs démarches chaloupées et à leurs mentons levés.
« Hé, beauté ! me lança Ryôta.
— Salut, vous deux.
— C'est fou quand même, que ce soit toi qui réclame ça ! s'exclama Minoru sans préliminaire en retirant sa casquette de baseball vissée à l'envers sur la tête. T'sais que c'est vachement mal vu et que tu ne devras en parler à personne ? On voudrait pas que tu te fasses arrêter...
— Nul ne sait ce qu'il peut faire avant d'avoir essayé.*
— Ça, c'est bien vrai ! Mais venant de toi, la requête m'a surpris ».
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Octopus - Tome 4 : La Pieuvre a trois coeurs
General FictionLucie est isolée. Privée de Kensei et de ses camarades de Nintaï, ses seuls compagnons sont désormais ses amis de l'Université. Mais peuvent-ils combler le vide qui grandit en elle ? Alors que son rêve se mue lentement en cauchemar, elle n'entrevoit...