Octopus - Tome 4 : La Pieuvre a trois coeurs

66. Un abandon du navire

*Avant-avant-dernier chapitre*

Sans avoir ouvert la lourde porte métallique du toit, je sentis que derrière, il y régnait une certaine agitation. Je la poussai pour découvrir que cette fois, étaient présents une vingtaine d'étudiants de quatrième année en sus de la bande au complet : Kensei, Takeo, Tennoji, Jotaro, Mika, Daiki, Nino, Jun, Ryôta, Minoru et Reiji. Ces trois derniers se faisaient face, un grand cercle s'était formé autour d'eux, à distance respectable.

Le ciel était sombre, bien qu'il fût à peine le début d'après-midi. Il y avait de l'électricité dans l'air.

Les caïds étaient tous tant absorbé par le triangle que formaient Ryôta, Minoru et Reiji que mon entrée passa inaperçue.

« Pourquoi ne nous avoir rien dit ? On est une faction, Minoru ! Pas un groupe de petites frappes isolées ! conspua Reiji sur un ton où perçait le mépris le plus virulent.

Il passa la main sur son visage blanc couturé de cicatrices. Tout à coup, je compris pourquoi il ne participait pas aux sorties et passait son temps enfermé dans la sombre salle d'informatique : c'était pour se cacher du regard des autres. Une année entière m'avait été nécessaire pour me rendre compte de ce complexe.

Reiji ferma les yeux et se pinça l'arête du nez en secouant la tête de droite à gauche. Il releva ses yeux noirs opaques sur Minoru et déclara :

— Kensuke a maintenant prévenu tout Nintaï que Fumito était de retour et qu'il vendait une came superpuissante et bon marché ! Et qui écoule ça ? Ichiro ! Non seulement les gens vont se précipiter mais en plus, personne ne s'opposera à ce qu'il prenne la place d'Eisei !

— Hé, Reiji ! interféra Ryôta en faisant un pas vers lui. C'est moi le plus concerné ! C'est moi qui vais devoir écouler une moins bonne came maintenant ! Alors ne fais pas le malin en prétendant que t'es le plus touché par cette nouvelle !

— C'est toi l'imbécile, dans cette histoire ! rétorqua Reiji en se tournant vers lui, la bouche grimaçante. N'oubliez pas que c'est Takeo qui va payer les frais de votre connerie, à toi et Minoru. Maintenant, Ichiro sait qu'il a toutes les cartes en main pour faire régner sa loi !

Reiji avait le don pour noyer une atmosphère de négativité. Minoru carra les épaules et s'avança à son tour. Il dépassait le squelette chétif de deux têtes.

— J'en prends toute la responsabilité, proféra-t-il solennellement. Ryôta voulait t'en parler. C'est moi qui l'en ai dissuadé.

Ryôta lui adressa un petit sourire reconnaissant. En règle générale, Minoru ne manquait pas de courage. Mais à cet instant, il apparaissait héroïque. Même si ce qu'il disait était vrai, il est toujours plus facile de supporter une faute à deux que seul face à une trentaine de caïds de sa bande.

Minoru jeta un regard à Takeo qui observait la situation, complètement dépassé. La mine défaite, les yeux tombants, ses bras pendaient de chaque côté de son large torse. Sa chemise hawaïenne à fleurs de tiaré le rendait, en cet instant, assez ridicule. Napoléon ne savait que faire, quelle décision prendre pour départager son bras-gauche, Reiji et son bras-droit, Minoru.

Bien entendu, je soutenais le point de vue de Minoru. Reiji lui reprochait de ne pas les avoir avertis de leur excursion dans les quartiers chauds avec Ryôta mais Minoru avait raison de rappeler à Reiji qu'il n'avait pas d'ordre à lui donner. De coups de becs en morsures verbales, Reiji exagérait.

— Ça ne change rien, siffla celui-ci.

— Qu'est-ce que t'aurais pu y faire de toute façon, hein ? argua Minoru qui en avait assez d'avoir à régler des comptes à une autre personne qu'à son leader.