50. Perception de trahison

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Kensei revint enfin. Les mains profondément enfouies dans ses poches, il avançait à grands pas rageurs en martelant le bitume. Ses épaules se balançaient au rythme de sa démarche lourde qui était si saccadée que sa chaîne en or tressautait.

Il prit à peine le temps de se pencher sur moi, toujours assise sur le banc. La mâchoire crispée, les veines du cou et du front gonflées, il gronda : 

« Tu sors avec Ryôta, maintenant ? 

Les passants s'écartèrent du banc pour nous contourner, la mine embarrassée ou effrayée. Je me redressai comme un ressort, le souffle coupé par l'insinuation. 

— Qu'est-ce que tu racontes ? 

Les yeux fous de rage, il exposa les échos qu'il avait eus de Mika. Je ne cherchai pas à savoir comment ce dernier avait pu interpréter mon passage chez Ryôta mais je n'en menai pas large.

— Ryôta m'a dépannée, me défendis-je. Sans lui, je serais restée dehors, à attendre un métro seule dans la nuit... Pourquoi pas à la merci d'un punk, tiens ?

— T'aurais pu appeler un taxi ou aller dans un manga café !

— Je n'avais pas d'argent.

— T'aurais pu m'appeler !

— Je t'aurai réveillé !

— Je ne dors jamais ! Et même si ça avait été le cas, je serais sorti pour venir te chercher en moto !

Kensei ferma les paupières et serra les poings. Son visage exprimait la plus violente des colères contenues et son t-shirt était tendu sous ses kilos de muscles contractés. J'eus envie de placer un bloc de béton entre nous.

— Dans tous les cas, je ne voulais pas te déranger... Je ne pouvais pas non plus rentrer à pied, avouai-je. C'était trop loin et j'avais... J'avais fumé.

Les épaules de Kensei retombèrent. Je lui aurais annoncé que j'avais fait le tour du monde à la nage pendant la nuit qu'il aurait probablement eu la même tête.

— T'as fumé ?

J'opinai faiblement.

— Oui. 

— Je m'en doutais, que ça finirait par arriver ! soupira-t-il.

— A ce moment, j'ai voulu parler avec Ryôta des effets pervers de la drogue qu'il ne supportait pas. Il avait les yeux injectés de sang et tremblait...

— Quoi ? me coupa Kensei. Quand Ryôta fume, il prend toujours autre chose ! Dans cet état, il aurait pu te faire du mal, même involontairement !

— Il allait très bien.

— Tu crois que t'es invincible ?

— C'est ton pote quand-même...

— Justement ! C'est parce que je le connais que je sais que c'est un bouffeur de petites culottes ! 

— Tu veux que je l'appelle pour qu'il te confirme ce que j'ai dit ? proposai-je doucement.

— Bien sûr que non ! Mais... Merde, quoi ! Il se prit la tête entre les mains. 

— Aller toute seule chez l' Idol ! En plus intoxiqué ? À quoi tu pensais ? T'es folle ?

Il était au bord de la crise de nerf.

— Désolée. Je n'aurais pas dû y aller. L'affaire est close.

Vidée de mon énergie, je n'espérai pas protester ou me justifier davantage. Je songeai principalement à la façon dont j'allai tordre le cou de Mika.

Octopus - Tome 4 : La Pieuvre a trois coeursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant