[Narration : Kensei]
Le corps de Lucie était tant secoué que ça faisait tressauter ma poitrine. Campée sur mon torse, elle avait été prise d'un fou rire à la vue de mes bras.
J'avais tant attendu son appel m'annonçant qu'elle était rentrée de Kyôto, que j'avais fini par m'endormir. Tomomi avait profité de mon assoupissement pour dessiner au marqueur sur mes bras. C'était ma petite-sœur mais elle était loin d'être aussi douée en dessin qu'en sport. Le résultat de sa folie artistique était un désastre qui ne partirait qu'après un certain nombre de bains. Ça allait se bidonner, à Nintaï.
Des larmes au coin des yeux, Lucie s'emberlificota dans sa couverture et se mit à rouler sur mes pectoraux comme un gros rouleau de printemps. Je la regardai en souriant et décidai que j'avais faim. Faim de rouleaux de printemps.
Je me redressai et me mis à rire aussi en la voyant terminer sa course sur le sol de sa chambre. Sonnée d'être ainsi tombée du lit, elle tourna la tête comme un gyrophare en essayant de se repérer dans la pièce. Je me penchai, la débarrassai de la couette, la remorquai sur le navire et glissai la main sous son chemisier. Sa peau était si blanche que ses veines se voyaient à travers. Elle eut un sourire canaille. Pour ne pas lui céder trop facilement, j'appuyai mon menton sur ses lourds cheveux cuivrés qui avaient repoussé au niveau des épaules. Instantanément, mon nez fut inondé par son doux parfum de crème brûlée.
Nous n'avions pas reparlé de son escapade chez Ryôta mais elle me faisait sentir que le sujet était clos et qu'elle n'avait rien de plus à me dire. J'étais obligé de la croire : le comportement de Ryôta ne donnait pas à penser qu'il s'était produit quelque chose entre eux.
Et puis, pousser Lucie dans ses retranchements était inutile : elle s'y employait bien assez toute seule. Elle était timorée, anxieuse et devenait irritable à la moindre suggestion ciblant son intégrité morale. Mais sur ce dernier point, nous étions pareils et je ne me voyais pas lui faire la leçon. Le problème de Lucie était le même que le mien : elle ne savait pas gérer sa colère. La sienne était rentrée alors que la mienne explosait.
Par jeu, Lucie souffla sur mon oreille puis déposa un baiser furtif dans mon cou. A ce moment, la sonnette de son studio retentit. Elle sauta du lit, se rhabilla en vitesse et partit ouvrir. J'entendis une voix d'homme s'annoncer comme étant le facteur ; ce devait être le colis de France de la part de sa grande-sœur qu'elle attendait depuis quelques jours.
Mon regard fut attiré par le tiroir entrouvert de la table de chevet. Mon rythme cardiaque s'accéléra. Je savais que je prenais le risque de me faire surprendre à fouiller dans la vie de Lucie mais la tentation était trop forte.
Il fallait faire vite. Maintenant ou jamais.
Occupée avec le facteur, elle me tournait toujours le dos. Je me dépêchai, ouvris le tiroir et saisis le carnet à motifs fleuris qui se trouvait à l'intérieur. Je n'y découvris que des croquis et très peu de phrases en japonais. Ce n'était pas un journal intime mais un carnet de rêves.
Lucie remercia le facteur. Je replaçai le carnet dans le tiroir de la table de nuit et le refermai. Elle posa le colis sur sa table de cuisine et se jeta dans le lit à côté de moi. Avant que j'aie pu dire ou faire quoi que ce soit, son regard se braqua sur le tiroir.
Elle se leva et se raidit. Comme d'habitude quand elle était contrariée, elle plissa le nez :
« Tu as regardé dans le carnet ? s'affola-t-elle de son air crispé.
— Le... Le carnet ?
— Ne mens pas !
J'étais stupéfait.
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Octopus - Tome 4 : La Pieuvre a trois coeurs
Ficção GeralLucie est isolée. Privée de Kensei et de ses camarades de Nintaï, ses seuls compagnons sont désormais ses amis de l'Université. Mais peuvent-ils combler le vide qui grandit en elle ? Alors que son rêve se mue lentement en cauchemar, elle n'entrevoit...