Toute la faction était réunie sur le toit.
« Le délai de deux semaines est écoulé.
Takeo scruta Jun, le regard brillant d'excitation. Une cigarette plantée au bout des lèvres, les mains dans les poches, il carra les épaules comme pour réaffirmer son autorité.
— J'ai réfléchis, reprit Jun d'une voix monocorde. Dans ce groupe, j'avoue être intéressé par certaines personnes. Si tu m'acceptes sans autre condition que celle de ce rite, je suis prêt à te suivre ».
Il y eut du mouvement autour d'eux.
La dernière fois que le toit avait été aussi rempli revenait à plusieurs mois. Takeo avait alors convoqué tout le monde afin de planifier la bagarre contre Juro et le lycée Kawasaki qui s'étaient unis pour flanquer une raclée aux alliés de Napoléon.
Kensei m'avait prévenue que personne n'aurait manqué une intégration comme celle-ci dans la faction: Jun passait directement du statut de « solitaire » à celui de « lieutenant » d'un groupe formé depuis la première année à Nintaï. Rares étaient les occasions où cela s'était produit. Ce privilège était accordé seulement aux gaillards les plus forts.
Tous les caïds présents étaient massés autour de Takeo et de Jun qui se jaugeaient. Je m'étonnai que ce dernier souhaite rejoindre la faction, lui qui semblait satisfait d'errer seul dans les couloirs du lycée. Peut-être avait-il simplement pris son temps pour décider si la bande de Takeo était à la hauteur de sa réputation.
Le ciel était recouvert d'une couche nuageuse qui ne se disperserait pas de l'après-midi. Tennoji avait éteint sa radio et Daiki verrouillé la porte du toit à l'aide d'un empilement de chaises. Nino me héla pour que je prenne place à ses côtés à l'extérieur du cercle. À cet instant, il me parut terrifiant : petit mais musculeux avec des yeux haineux. Il lança un tel regard aux autres étudiants pour qu'ils me laissent passer que je sentis mon propre poids s'affaisser sous mes jambes.
J'obtempérai, sous l'indifférence de Kensei qui persistait à éviter mes tentatives pour attirer son attention depuis la scène du parc quatre jours plus tôt. Il avait la digestion longue.
Le regard de Jun était plein de défi. Tous attendaient que le rituel d'intégration commence mais je me demandais ce qu'ils avaient encore inventé. Humiliations ? Alcoolisation forcée ? Coups de ceinture ? Certainement pas des devinettes !
Au signal de Takeo, ses deux bras-droits, Minoru et Reiji, se placèrent de chaque côté de Jun qui ne trahit aucun signe d'appréhension.
Reiji sortit son paquet de cigarettes de sa poche et en passa une à Minoru, lequel l'alluma et la tendit à Jun. L'instant était solennel.
« Vous n'allez pas faire ça ! » intervins-je en interpelant Takeo, qui m'ignora superbement. Je me détachai de Nino pour empoigner un pan de la chemise hawaïenne de Napoléon.
Les autres voyous s'avancèrent vers Jun, tout émoustillés à l'idée de voir une personne s'automutiler. Takeo décrocha ma main de sa chemise et fit signe au géant Daiki et aux « Men in Grey » de repousser les caïds pour laisser de l'air à leur cercle restreint de fortes têtes. Je remarquai que la coordination de leurs muscles laissait à désirer. Ils se mouvaient au ralenti, d'un pas chancelant. À coup sûr, ils avaient encore pris quelque chose...
Jun saisit la cigarette incandescente entre ses doigts et la leva pour que tout le monde la voie. En un geste vif, il l'écrasa sur son poignet ouvert vers le ciel.
Les muscles de son cou se tendirent à l'extrême et ses veines se gonflèrent de sang mais il ne poussa aucun cri. Il appuya encore la cigarette sur sa peau en la tournant dans tous les sens. Lorsqu'elle fut éteinte, il la releva, visible aux yeux de tous.
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Octopus - Tome 4 : La Pieuvre a trois coeurs
General FictionLucie est isolée. Privée de Kensei et de ses camarades de Nintaï, ses seuls compagnons sont désormais ses amis de l'Université. Mais peuvent-ils combler le vide qui grandit en elle ? Alors que son rêve se mue lentement en cauchemar, elle n'entrevoit...