Du 7 au 11 janvier, je passais mon temps entre Kensei et mes amis de l'université. La Fête de l'Échange de Bouvreuils, Usokae, avait lieu le 7 janvier et était dédiée aux études. Elle avait pour origine littérale uso, qui s'entendait à la fois du mensonge et du bouvreuil et kae, qui signifiait changer. Ce jour-là, on avait le droit de mentir. Pour mes amis de l'université, c'était également la période de début des examens.
Du 9 au 11 janvier, je découvris le Toka Ebisu Festival, spécifique à la ville d'Osaka et donné en l'honneur d'Ebisu, la divinité des affaires et de la prospérité. Il était apparu à l'époque Edo, Osaka devenant une ville commerciale importante. Si Tokyo était la capitale politique du Japon, Osaka était celle des affaires, d'où l'existence d'une grande rivalité entre les deux villes.
À l'instar d'un million de personnes, je me rendis au temple Amagasaki Ebisu pour prier en vue d'une année prospère. J'assistai ainsi à la confection de gâteaux de riz dans les rues décorées de superbes lanternes de papier colorées. Lors du festival, divers objets, tels des bambous, étaient vendus par des jeunes filles afin d'attirer la chance. Sur ces trois jours de festivité, le 10 janvier marquait le point culminant grâce à un défilé haut en couleurs de palanquins transportant des geishas.
Enfin, le 11 janvier je fêtai Kagami biraki, qui signifiait « Ouvrir le miroir ». À cette occasion, on brisait un tonneau de saké pour le boire lors d'une cérémonie shinto. Cette tradition avait été instaurée par le shogunat Tokugawa : avant de partir guerroyer pour une bataille qu'il avait remportée, le shogun avait cassé le couvercle d'un tonneau de saké pour le partager avec ses seigneurs.
Je ne bus pas mais échangeai avec mes amis des kagami mochi. Ouverts, nous devions les regarder comme des miroirs afin de faire un point sur l'année qui venait de s'écouler.
Ce festival me permit d'accéder à une nouvelle phase de ma prise de recul. M'éloigner de mon cocon français m'avait fait grandir. M'écarter de ma terre natale avait aussi ouvert mon esprit borné et m'avait détournée des choses du passé auxquelles j'accordais une importance surfaite.
J'avais appris à aimer de nombreux aspects du Japon, à commencer par Kensei, puis les transports décorés aux couleurs des mangas, Pokémon ou Hello Kitty, ce qui égayait considérablement le paysage urbain. J'appréciais le climat, bien que parfois extrême et j'aimais me dire que le Japon n'était pas si cher que ça, si l'on faisait attention à son mode de vie. Les restaurants par exemple, étaient l'un des meilleurs services qui existent à moindre coût. Je me délectais également de mes promenades du week-end et de toutes les visites possibles.
J'appréciais la propreté des gens, leur apparence soignée et leurs manières polies et empruntes de retenue dans la rue, de l'entrée à la sortie des magasins en passant par le comportement exemplaire et l'amabilité des autorités, quel que soit leur grade. Je m'étonnais toujours de ce souci du détail dans tous les services, des emballages de cadeaux sortis d'une bijouterie à celui d'une ramette de papier. De même, les rues étaient impeccables alors que les poubelles étaient quasi-inexistantes. Mon astuce était de repérer les konbini pour y jeter mes petits déchets mais la plupart des Japonais plaçaient un sac plastique dans leur sac pour ne pas avoir à tourner en rond jusqu'à ce qu'ils trouvent une poubelle. À côté de cela, si l'espace manquait d'arbres, les vitrines des commerçants recherchaient toutes un certain esthétisme alléchant.
J'aimais la qualité de vie, la ponctualité des Japonais et leur façon de faire autant attention à autrui qu'à eux-mêmes. L'un est multiple – et le multiple est un, énonçait le shinto. À ce titre et en dépit de mes mésaventures qui ne s'étaient plus reproduites, le Japon était sûr. Je n'avais plus peur de rentrer seule la nuit, moins encore d'être victime d'un vol à l'arrachée. Je ne travaillais pas dans un cadre normal mais force était de constater que le taux de criminalité baissait depuis une trentaine d'années. Les premiers délinquants Japonais n'étaient autres que les personnes âgées, qui se voyaient sombrer dans une illégalité de faible gravité pour palier une détresse financière.
VOUS LISEZ
Octopus - Tome 4 : La Pieuvre a trois coeurs
BeletrieLucie est isolée. Privée de Kensei et de ses camarades de Nintaï, ses seuls compagnons sont désormais ses amis de l'Université. Mais peuvent-ils combler le vide qui grandit en elle ? Alors que son rêve se mue lentement en cauchemar, elle n'entrevoit...