31. Comment devenir heureux

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Dans le quartier général du gang de Takeo, la salle 3-B, les troisièmes années brassaient de l'air au lieu de réviser leurs examens du début d'année. Daiki avait rapidement abandonné ; il était toujours aussi rebuté par l'inanité de ses efforts. A moitié assoupi, il avait la tête posée sur son bras, l'autre pendant mollement dans le vide. Lorsque Minoru sauta de sa chaise pour venir me saluer, Daiki leva lentement le menton, alerté par l'impact des Dr. Martens de l'opossum transgénique sur le sol.

Une vingtaine d'étudiants squattaient la salle, avec parmi eux Nino, au demeurant le seul de la bande à réellement réviser, Daiki, Minoru, Yuito et Takeo. Les autres se trouvaient dans leurs clubs respectifs. Grâce aux aménagements électriques de Tennoji, la pièce était bien éclairée, mettant en valeur la poussière et la saleté de l'endroit. Je m'approchai de Daiki et considérai son visage aux traits grossiers bouffi de sommeil.

« Réveille-toi, Daiki ! Les exams sont dans...

— Bientôt. Je sais, Clé-à-molette ! 

Je tirai une chaise pendant qu'il grommelait entre ses dents. Au Japon, il existait certes un examen pour entrer à l'université à la fin du lycée mais il n'était pas comparable avec le baccalauréat. Réparties sur deux jours, les épreuves étaient organisées par le centre national d'admission à l'université. En cas d'échec à l'examen, on devait patienter un an pour le repasser. De surcroît, une fois le premier examen passé, chaque université pouvait ensuite soumettre aux candidats ses propres séries de tests éliminatoires. La licence s'obtenait en quatre années, le master en deux ans et le doctorat en trois.

Les universités les plus estimées étaient nationales, talonnées par les universités publiques. Venaient ensuite les universités privées dont les réputations variaient de la très bonne à la franchement mauvaise. Les frais d'inscription se révélaient élevés, sans parler de ceux de scolarité ne prenant en compte que les cours dispensés et non le logement, la nourriture et les manuels. Le coût dépendait de la nature de l'établissement et de la discipline étudiée.

Je me souvenais de mon concours d'entrée à l'Institut d'Etudes Politiques où les candidats se regardaient tous en chiens de faïence. Pour rien au monde je ne l'aurais de nouveau tenté.

« Comment est-ce que tu envisages ta vie après Nintaï ? demandai-je à Daiki, sachant au fond de moi qu'il n'essaierait même pas de se présenter au concours d'entrée à l'université.

Le géant morphinomane me lança un regard endormi. Les vingt secondes qui suivirent, il continua de me fixer d'un air éteint, comme s'il ne parvenait pas à donner de sens à mes mots. Ses yeux étaient injectés de sang et la sueur ruisselait sur ses tempes. Finalement, il parut commencer à réfléchir, ce qui : primo, était inhabituel ; deuxio, effrayant. Je laissai les neurones de Daiki travailler tous azimuts. 

— NEET.* Ou... Videur... Non. J'sais pas. Videur ? Oui, pas mal. Non. Euh... Les docks ? Pas loin de Nintaï. Ah ouais mais Takeo ne sera plus à Nintaï, réalisa-t-il. Peut-être en redoublant. Ah ben non.

Les gaillards m'incitèrent à le laisser dormir et je me relevai de ma chaise branlante.

— Vous ne visez pas de situation confortable plus tard ?

Une dizaine d'étudiants me dévisagèrent, avant de retourner à leurs préoccupations : jeux de cartes, grignotage de gâteaux, textos, jeu de Shôgi,** bavardages, sieste. D'une manière inattendue, Minoru intervint. :

— Tu peux être heureux de deux façons : être bourré de thunes ou te contenter de ce que t'as déjà. Moi je ne roule pas sur l'or mais je me satisfais du sport. Et pis, franchement, l'université, ce n'est qu'un chemin parmi d'autres...

Octopus - Tome 4 : La Pieuvre a trois coeursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant