35. En sécurité

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Reizo rassembla les mains autour de son verre. Je remarquai qu'il s'était mis à ronger ses ongles et que la peau de son visage était si blanche et si tendue que les veines de ses tempes en sueur apparaissaient violettes.

L'air de rien, le barman s'approcha de nous pour remplir des bières au percolateur. Aussitôt Reizo éloigna son épaule de la mienne. Après quelques secondes de silence où je me tins immobile, attendant d'être servie, il siffla entre ses dents.

« Je t'invite pas chez moi, j'imagine. C'est pas rangé...

Non, je n'allai pas laisser passer ça !

— Même dans le shintoïsme, les esprits peuvent être de sacrés plaisantins... Quand j'ai vu ta tronche, j'ai saisi que les créateurs de l'univers avaient de l'humour.

— Joue pas les gros bras. T'as pas retenu la leçon ?

— Quelle leçon ? Tu es mal placé pour en donner.

Un étrange sourire s'étira sur ses lèvres pâles. Il gratta sa tête et empoigna une mèche de cheveux noirs pour la remettre en place derrière son oreille.

— T'as une manière originale d'envisager tes relations... Il toussa et sourit : Kensei n'est pas plus recommandable que moi.

Sous ma peau, je sentis mes veines chauffer mais continuai de le fixer.

— Je n'ai pas besoin d'une relation parfaite, seulement de quelqu'un qui ne m'abandonnera pas.

— Mais c'est déjà fait !

— C'était de ta faute.

Il s'exclama :

— On était deux ! Tu devrais dire notre faute !

Reizo fit passer son verre d'une main à une autre et but cul-sec. Il le claqua sur le comptoir et plissa les yeux.

— T'es certaine que ses sentiments sont vrais ? Qu'ils sont sincères ? T'es accommodante. Ça pourrait lui servir.

— Lui servir ?

— Ben, oui ! se moqua-t-il. Sinon, pourquoi il aurait pris la peine de te garder à porter de main, au milieu de tous ces trafics clandestins ?

— Ce que tu dis m'indiffères », répliquai-je, la gorge sèche.

Je vidai mon verre d'une traite. Un nouveau sentiment d'assurance m'effleura : Reizo était en rage de ne plus pouvoir m'atteindre. Il était vaincu. L'arbre renversé par le vent a plus de branches que de racines.

La faction de Takeo devait être arrivée. Je me levai du tabouret et très vite, m'engouffrai dans le nœud de la foule des clients. Je cherchai les troisièmes années du regard.

Une main agrippa ma nuque et me retourna.

La figure terrifiante de Reizo m'apparut. Le poing levé sur mon visage, il alla l'abattre sur mon nez.

Une poigne le retint. Le regard de Reizo dévia sur un homme en noir qui maintenait fermement son bras en l'air.

C'était Jun.

L'instant d'après, Kensei se matérialisa à ma gauche, puis toute la bande, drainant l'attention alentour. Les clients du bar se poussèrent pour voir ce qu'il se passait.

Reizo se libéra de la prise de Jun et Kensei se plaça entre lui et moi. Takeo, Daiki, Minoru et Nino se tinrent à leurs côtés en formant arc de cercle. Je ne distinguai pas l'expression de Kensei mais il se balança d'une jambe sur l'autre. Reizo tenta de masquer son affolement sous un air impassible.

Octopus - Tome 4 : La Pieuvre a trois coeursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant