65. Sur un os

88 14 43
                                    

J'obéis à Minoru et restai loin du parking ouvert. Il se dirigea vers le groupe d'une démarche chaloupée. Brusquement, je me reprochai de ne pas l'avoir dissuadé de rebrousser chemin et d'aller effectivement demander notre adresse à un commerçant quelques rues plus loin.

Minoru se fit accueillir sous un flot de sifflets, d'aboiements hargneux et de gestes d'intimidations. C'était sans compter les atouts du caïd, fort avantageux dans le milieu underground : il avait ce naturel avenant et cette apparence solide et pleine d'assurance tranquille.

En quelques mots, l'Opossum lança la conversation. Les anciens cols bleus se massèrent autour de lui, l'air soudain curieux. En parlant, ils crachèrent et s'exclamèrent en faisant de grands gestes. Minoru croisa les bras et pencha la tête de côté dans un air d'écoute attentive.

Quelques minutes plus tard, il offrit aux sans-abris son paquet de cigarettes pour les remercier et les salua poliment en s'inclinant plusieurs fois de suite. Il revint ensuite vers moi, un rictus scotché sur son visage blême. « Viens, dit-il à voix basse, en me saisissant par l'épaule. Éloignons-nous, je vais t'expliquer ».

Nous traversâmes deux nouvelles rues étroites et débouchâmes dans une artère déserte. Minoru s'assura alors que sa casquette de baseball couvrait toujours bien mes cheveux et mon visage et allongea le pas.

« Fumito a changé, déclara-t-il d'un air agité.

— Comment ça ? m'étonnai-je.

— Il est pire qu'avant. Les types de tout à l'heure m'ont fait comprendre qu'il s'était taillé une réputation dans le coin. Ils l'appellent la poubelle à drogues.

— Nom de... !

Minoru secoua la tête comme s'il tentait de se débarrasser de quelque maléfice.

— Un habitant m'a assuré qu'à son arrivée, Fumito s'est vite fait virer du parking. Dès que les gens ont appris qu'il avait été libéré de prison grâce au paiement d'une caution par des yakuzas, ils se sont doutés de quelque chose.

— On peut les comprendre...

— Hum, grogna-t-il en cherchant du regard les indices urbains qui lui permettaient à défaut de noms de rue et de commerces de se repérer dans la zone.

Il leva soudain le nez en l'air et me fit signe de le suivre dans une autre rue. Je lui emboîtai immédiatement le pas. Ce quartier était un véritable labyrinthe et j'aurais eu du mal à en sortir seule.

— Pourquoi est-ce que les yakuzas n'ont pas hébergé Fumito après l'avoir réchappé des barreaux ? demandai-je.

Minoru soupira en secouant la tête.

— Je viens d'apprendre qu'il n'était jamais entré chez les yakuzas.

— Quoi ? Mais si ce sont eux qui ont payé sa caution...

— Ils ne font que traiter d'affaires. Ça ne veut pas dire que les yakuzas l'ont accepté. S'ils n'ont pas voulu prendre Fumito sous leur aile, ça doit être pour ça qu'il s'est retrouvé à dormir dans le parking.

— Je vois. Et où il habite, maintenant ?

— Dans le quartier Jûsô, là où va Ryôta. Mais apparemment, Fumito a une sorte de base de repli ici pour ses trafics. C'est ça qu'on cherche. Peut-être qu'il y est.

— Pourquoi s'être assuré d'avoir une base de repli ?

— Fumito a diversifié ses offres : hasch, speed, crack, exta, GHB, K-2... et surtout un truc qui vient du Vietnam.

— C'est quoi ?

— Le cristal meth, un dérivé de la méthamphétamine. J'en ai entendu parler. Il parait que ça te rend complètement accro à la première dose. C'est six fois moins cher que la cocaïne et ses effets sont dix fois plus puissants.

— Il ne faut pas que cette horreur arrive à Nintaï ! m'exclamai-je, alarmée.

— Tu m'étonnes... ! Tout le monde va se l'arracher. C'est sûrement ce qu'Ichiro a fait fumer à Naomi sans lui dire ce que c'était.

— Il lui a fait fumer des cristaux ?

— Ouais, ânonna Minoru. C'est justement parce que la meth est fumée que l'effet est aussi puissant et immédiat. Ça te pourrit la santé à vitesse grand V. J'ai entendu que pendant au moins quatre heures, t'as l'impression que t'es invincible, que t'es le roi du monde. Tu deviens hyperactif, ta confiance en toi est inébranlable et dans ta tête tu crois que t'es super balèze physiquement.

— Quatre heures... relevai-je en déglutissant.

— Ça peut aller jusqu'à douze heures ! Le pire, c'est que Fumito en fabrique peut-être lui-même... Et là, je ne sais pas ce que ce malade peut avoir idée de mettre dedans.

— Par exemple ?

— Dans les pharmacies, tu peux facilement trouver des médicaments contre le rhume ou la grippe, exposa-t-il. Dedans, y'a ce qu'on appelle l'éphédrine, à laquelle Fumito pourrait ajouter des produits trouvés en quincaillerie, comme de l'ammoniac, du solvant ou du lithium de batterie. Il pourrait aussi mettre du pneu ou de la crotte de rat, va savoir ! On est peut-être en train de se diriger vers son atelier clandestin. Tu veux toujours venir ?

— Évidemment ! ».

Minoru chercha l'adresse pendant encore quelques minutes. A force de scruter les façades des baraques, il découvrit l'endroit que nous cherchions.

Nous nous retrouvâmes face à un local d'environ dix mètres carrés, tout en béton et dont la porte métallique était fermée par d'énormes chaînes et verrous, incassables avec une pince. Minoru eut un rictus :

« J'espère que ça va bien se passer pour Ryôta...

— On l'appelle ? » proposai-je, moi aussi inquiète.

Il composa le numéro de l'Idol et enclencha le haut-parleur. Au bout de quelques sonneries, ce dernier répondit d'une voix irritée.

Avant que Minoru ait pu ouvrir la bouche Ryôta brama : « J'ai trouvé Fumito ! Il ne m'a pas ouvert et m'a juste dit d'aller me faire foutre ! Tout ce trajet pour rien, p'tain ! ».

Il grommela encore et demanda si nous avions dégoté quelque chose. Minoru lui expliqua que nous avions récupéré quelques informations sur lui. Ryôta râla encore et nous raccrocha au nez.

D'un air d'impuissance, Minoru soupira, releva doucement la visière de sa casquette que je portais toujours sur la tête et se pencha pour me regarder dans les yeux.

« Finalement, je suis content que tu m'aies accompagné. Ça m'évite de trop déprimer.

— Tu deviens émotif, ironisai-je.

— Je sais, répondit-il gravement. C'est pour ça que je ne rentrerai jamais dans le business. Sois en sûre ».

Il ne nous restait qu'à revenir sur nos pas et quitter ce quartier suintant le désespoir.

Ma poitrine était compressée : nous venions à peine d'en finir avec l'établissement Kawasaki et les vengeances successives de Juro. Une page s'était tournée ; une autre s'ouvrait, plus nauséabonde encore.



(つ✧ω✧)つ Merci de votre lecture !

Pour ceux/celles qui ne l'ont pas fait, n'hésitez pas à voter au chapitre 57 pour décider si oui ou non je devrais poster quelques photos de protagonistes sur le dernier chapitre ;) Résultats du vote dans trois semaines...

Le chapitre 7 de Fendôr est disponible ! :3

→ ★

Octopus - Tome 4 : La Pieuvre a trois coeursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant