8. L'absent s'éloigne chaque jour

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La pénitence était difficile à affronter, elle m'empêchait de tourner à l'angle de ma vie. Regretter d'avoir trompé une personne que l'on aime et que l'on respecte n'est pas un sentiment qui s'oublie facilement : il vous hante et empoisonne votre existence. Le pendentif en forme de lune que je n'avais pas ôté de mon cou me le rappelait instamment.

La vie est mal faite tout de même ! Normalement lorsqu'une histoire est terminée, la relation l'est aussi. Le problème était que mon rapport avec Kensei durait, peut être seulement dans ma tête mais il demeurait. De la même façon, la culpabilité ressentie ne pouvait être expliquée.

De qui étais-je tombée amoureuse ? De Kensei ou du rebelle qu'il représentait ? Pendant longtemps, je n'avais su faire la distinction, confondant Kensei avec mes propres idées reçues. La séparation avait dû intervenir pour que je réalise que, malgré les bavures, je l'aimais plus que tout. Il était la personne à m'avoir voué un amour sans fioritures et à me l'avoir montré dans ses yeux. C'était pour moi une certitude. Kensei m'avait probablement plus aimé que mes parents au cours de ces dernières années et cette idée continuait de me remplir.

Après avoir déposé des feuillets dans des casiers, je retournai, la tête basse, dans le secrétariat, froid et sombre mais que je préférais de loin à la salle des professeurs. Cette dernière était une pièce malodorante aux murs jaune d'œuf qui n'avaient jamais dû être repeints. Derrière les bureaux débordants de dossiers empilés de façon chaotique, quelques professeurs taciturnes apposaient des tampons ou consultaient de la paperasse. Il y avait aussi ces bruits agaçants de photocopieuses, d'aération, de clics de souris et de clacs de touches de clavier.

À l'extérieur, il pleuvait, ce qui obscurcissait davantage le secrétariat. Avec peine, je repoussai les idées noires de mon esprit. Il n'y avait aucun rayon de lumière pour éclairer toute cette noirceur et la plante verte. Madame Chiba, la vieille secrétaire, m'avait interdit de la retirer.

Je n'osais pas me rendre au restaurant de la famille de Kensei. Ses parents m'auraient jetée dehors. S'il les avait informés de la situation, ils devaient me prendre pour une traînée, eux-aussi. J'avais demandé à Nino, puis à Minoru d'aller les voir mais chaque fois, les parents leur avaient répondu que les sentiments de leur fils ne les regardaient pas, avant de leur offrir une barquette de nourriture. Sur le coup, je les avais haïs. Quant à supplier Mika, même si j'y étais disposée, il m'aurait piétinée de mépris. Il refusait toujours de me parler. En attendant, je masquais les absences de Kensei. À ce sujet, je m'étonnais que Madame Chiba n'ait rien remarqué. Kensei séchait les cours depuis des semaines et son dossier restait vierge sur ce point. Si Madame Chiba n'ait rien remarqué. Kensei séchait les cours depuis des semaines et les papiers étaient vierges – je m'échinais à masquer toutes ses absences et si Madame Chiba m'avait mieux contrôlée, j'aurais été renvoyée sur l'instant.

Tout à coup, Shôji, le petit-frère de Mika, passa ses oreilles décollées à la porte de secrétariat en une apparition vert pomme – ses cheveux. Il s'approcha de moi et déposa un gobelet sur mon bureau : « Tiens, j'te devais un café. J'y vais, j'ai cours ». Avant de refermer la porte, il souffla « Courage » et disparut.

Le liquide amer et chaud coula dans ma gorge et réchauffa un peu mon ventre. Je remerciai mentalement Shôji. C'était un bon gars, un type qui payait tardivement ses dettes mais qui les honorait. Il était dommage que son grand-frère soit mon ennemi déclaré.

Il n'y avait pas que Shôji. J'avais noté que Minoru profitait de ma solitude pour se rapprocher. Non que je ne veuille de sa compagnie mais il en faisait des tonnes. Il me disait que si j'avais des raisons de pleurer, globalement, ma vie m'en donnait pour sourire. Qu'il passe chaque jour me voir au secrétariat avant de se rendre au club d'athlétisme avec ce genre de phrases était adorable. Deux jours plus tôt, il m'avait même offert un nouveau porte-bonheur : un Okiagari-koboshi, un « petit prêtre se mettant debout ». C'était une poupée faite de papier mâché. Après l'avoir inclinée sur le côté, elle revenait toujours en position verticale. Je ne doutais pas qu'il m'envoyait ainsi des signaux pour aller mieux. Mais qu'est-ce qu'il avait, à m'offrir des poupées ? Drôle d'Opossum !

Octopus - Tome 4 : La Pieuvre a trois coeursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant