59. Tout pour eux

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[Narration : Minoru]

Je levai les yeux vers la lune, Lucie m'imita.

Pourquoi les hommes cherchent-ils un sens à leur vie ? Pourquoi ne se contentent-t-ils pas d'assumer le fait qu'il n'y a pas besoin de légitimité pour exister ? Pourquoi ne se contentent-ils pas de se dire qu'au final, ils ne sont qu'un gros amas de bactéries ? Une bactérie vit, tout simplement et finalement, elle accomplit son rôle par sa simple existence. Seulement voilà, je me disais que le plus grand problème de nous, les humains, était à la fois notre plus grande chance : certains étaient ambitieux, comme Lucie. Et il y en avait d'autres qui choisissaient, comme beaucoup de nintaïens, de vivre comme des bactéries : c'étaient des gens appréciant pleinement de vivre au jour le jour, la routine ou bien carrément des paresseux.

— Pas de gang en vue ? insista-t-elle.

— Tu t'inquiètes vraiment trop pour nous. J'crois qu'il n'y aurait qu'Ichiro pour avoir envie de créer un vrai gang comme de celui de Juro après être sorti de Nintaï.

— Vraiment ?

— Ecoute, déclarai-je en tirant sèchement sur ma clope. Yuito a déjà trouvé un boulot, Nino a raté ses concours cette année mais il compte retenter sa chance, Reiji intégrera une formation de tatoueur, Takeo voudrait ouvrir un bar et Daiki, eh ben... Suivre Takeo.

J'écrasai ma cigarette sur les galets et fit signe à un cadet du club d'athlétisme de m'apporter des pilons de poulet. Il s'exécuta en ronchonnant un peu. J'en proposai à Lucie dont le ventre gargouillait ; elle n'osait pas se servir elle-même.

Je poursuivis :

— Kensei veut être garagiste, Ryôta devenir host comme son frangin, Mika voudrait faire le tour des médecins du monde et les « Men in Grey »... Ils trouveront bien une occupation dans la vente, ces deux-là sont des vrais baratineurs.

— Ah... Shizue sera ravie !

— Tennoji et Jotaro ont le don de deviner ce dont les gens ont besoin, c'est comme ça qu'ils les manipulent. Si Ryôta ne les avaient pas devancé dans le marché de la drogue et s'il n'était pas leur amis, ils y auraient mis leur nez et se seraient mis à vendre, eux-aussi.

— Ils sont si doués que ça ?

J'acquiesçai franchement :

— Moi je ne prendrai pas le risque de créer une start-up. L'État n'apporte pas assez de soutien pour ça, au niveau des taxes, du système de travail... Non, non. Même si t'es un peu courageux, c'est un coup à se cramer les plumes. Mais Tennoji et Jotaro, eux, ce sont des petits malins. Ils connaissent déjà pas mal de combines et en trouveront d'autres.

Elle toussota et se racla la gorge. Parfois, j'oubliais qu'elle n'étudiait pas que la politique mais aussi le droit.

— Hum... Hum... Et toi, le sport.

— Ouais. Le sport, rien que le sport.

— Tu en parles avec des étoiles dans les yeux, dit-elle en me scrutant. C'est une vocation, pas vrai ?

J'acquiesçai d'un bref mouvement de tête :

— C'est comme une drogue. Je ne pourrai pas vivre sans. C'est ce qui me fait lever de mon lit le matin plutôt que d'aller jouer aux arcades et fumer.

Les yeux de Lucie pétillèrent et les bulles fusionnèrent avec mon cœur. Mon sang devint comme du mousseux. Elle m'aurait regardé plus longtemps de cette manière, il serait devenu un champagne de qualité.

— C'est juste que... repris-je en essayant de bien articuler. Ça prend beaucoup de temps d'être reconnu dans le monde du sport. Il faut avoir beaucoup de patience, de chance et...

Octopus - Tome 4 : La Pieuvre a trois coeursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant