[Narration : Kensei]
Trois semaines auparavant exactement, un mardi soir, trente minutes après m'être couché, j'avais été victime d'une première crise de nausées. Les jours qui avaient suivis, il y en avait eu d'autres.
Pourtant, jusqu'à ce que je rentre du garage du Vieux, tout allait bien.
Je n'étais pas malade.
Plié par terre, je me tins les côtes, puis la tête. Je rampai vers le futon, allumai une Marlboro, toussai, crachai et l'éteignis. Sous mon bureau, je jetai un œil à ma caisse à outils. Le sachet de somnifères en dépassait.
Ça ne se savait pas. Heureusement.
Sinon, ce serait la fin.
*
[Narration : Lucie]
A peine avais-je posé le pied hors du lit en ce matin nuageux d'avril, que j'eus le pressentiment ô combien cette journée ne serait pas comme les autres. Oui, cette journée-là allait être mouvementée. La douceur du parfum des cerisiers ne pourrait évacuer la bourrasque d'avertissements qui tourbillonnait dans l'air.
C'était la rentrée.
Oubliez les cartables nouveaux, jolis manteaux, livres, cahiers et baisers de Jacques Prévert. Optez pour vestes noires, rangers, joints, as de piques et insultes pour la rentrée au lycée technique de Nintaï.
Pourtant j'étais sereine : Juro loin de l'établissement, de nombreuses personnalités malveillantes avaient délaissé l'établissement pour trouver des apprentissages. D'un point de vue purement pédagogique, ce n'était peut-être pas la meilleure solution. Cependant, commencer à travailler les éloignerait peut-être de leurs mauvaises fréquentations et des habitudes nintaïennes. J'étais d'autant plus rassurée que les principaux étudiants concernés n'étaient autres que les anciens leaders de premières années Kô et Chikuma mais aussi et surtout ceux de deuxièmes années, Hidetaka et Izuru.
Ces quatre terreurs avaient quitté définitivement Nintaï... Quatre leaders d'un coup ! Ça ne se n'était jamais produit dans toute l'histoire de l'établissement mais l'énorme bagarre contre Juro et le lycée Kawasaki ne devait pas y être étrangère. En outre, il semblait que Kensei et Takeo aient coopéré pour leur faire peur une bonne fois pour toutes. Je ne voulais pas savoir comment ils s'y étaient pris. En tout cas, ils ne constitueraient plus des obstacles à la paix relative de l'établissement Au risque de paraître horrible, j'étais soulagée qu'ils soient partis.
Au cœur de la zone industrielle que je traversais pour me rendre dans l'établissement, je levai les yeux pour contempler le continuel banc de nuages blancs et cotonneux comme des moutons. Les fleurs de cerisiers s'éparpillaient, les magnolias s'épanouissaient, les jeunes pousses se faisaient une place, la saison amorçait une nouvelle phase. Seulement, les jeunes pousses que je fréquenterai ne sortiraient pas de terre mais de tous les collèges d'Osaka et de sa périphérie qui n'avaient pas réussi le concours d'entrée dans un autre lycée ou qui avaient directement candidaté pour entrer à Nintaï. Or un jeune normalement constitué aurait tout fait pour ne pas s'y retrouver. Les pousses ne seraient pas des pâquerettes mais des ronces.
Pour me donner du courage, je sortis mes écouteurs et soupirai ; il fallait encore les démêler. J'étais certaine que dans mes poches, un lutin s'amusait à faire des nœuds avec.
Parmi les grandes figures des anciens troisièmes années, seul Yuito ne poursuivrait pas dans le cursus de formation professionnelle sur deux ans proposé par Nintaï. Ce serait étrange, de ne plus croiser sur le toit son immense charpente au nez bosselé et aux lunettes de soleil mais la Banane avait été recrutée par une entreprise de déménagement. Le salaire était bas, sans couverture maladie et dépourvue d'assurance chômage mais Yuito pensait qu'il avait de belles perspectives d'évolution de carrière.
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Octopus - Tome 4 : La Pieuvre a trois coeurs
Ficção GeralLucie est isolée. Privée de Kensei et de ses camarades de Nintaï, ses seuls compagnons sont désormais ses amis de l'Université. Mais peuvent-ils combler le vide qui grandit en elle ? Alors que son rêve se mue lentement en cauchemar, elle n'entrevoit...