56. Les accrochages

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[Narration : Lucie]

Avec vue imprenable sur le château d'Osaka et son parc, le musée d'histoire de la ville était assez grand et avait pour intérêt d'expliquer le développement de la ville sur mille quatre cents ans par des mises en scène de maquettes géantes ou miniatures, de croquis et d'estampes, de laques et de rouleaux peints, d'armures, de sabres et de trouvailles archéologiques. Les reproductions, parfois grandeur nature, étaient impressionnantes, telles que celle du Palais impérial de Naniwa. Le sixième palier était lui dédié aux expositions. Celle-ci était extraordinaire, mettant en avant les estampes de maîtres japonais du XVIII et XIX siècles : Utamaro, Hokusai, Hiroshige mais également Kuniyoshi, Shotei et Gakutei.

Après cette visite qui finit par me faire oublier le sale moment que j'avais passé dans mon studio avec Kensei, Yoshi, Sven, Leandro et Shizue m'accompagnèrent à l'office du tourisme en vue de m'encourager pour mon entretien d'embauche. Les cours à l'université avaient repris depuis deux jours et j'avais enfin en mains mon nouvel emploi du temps.

Nous pénétrâmes dans le bâtiment de l'office du tourisme et fûmes intensément pris par le buzz de la climatisation et des néons au plafond, le hall bondé d'enfants qui trépignaient et des touristes étendant leurs cartes contre les présentoirs. Le bruit de l'activité était intense, entre les bruits de matériel informatique, chuchotements, cris d'excitation et d'exaspération, froissement de papier et grincements des roulettes de valises sur le sol carrelé.

Derrière le comptoir qui venait de se libérer, nous fûmes électrocutés par la vision de ce qui devait être l'une des plus belles jeunes Japonaises existant : un visage nacré dessiné en ovale et magnifiant des yeux grands et ouverts, doux, d'expression franche et lumineuse. Ebahis, nous nous approchâmes de cette réceptionniste, happés par son sourire éclatant et chaleureux. D'apparence très soignée, peu maquillée, cette beauté radieuse avait des lèvres roses et pleines et de longs cheveux de jais rabattus derrières de délicates oreilles. Elle portait une robe de tulle blanche percée d'un badge portant son nom : Momoka Hôjô.

Soudain, je m'aperçus que cette élégante réceptionniste était grande, vraiment grande pour une Japonaise. Elle arrivait au cou de Sven, ce qui constituait un exploit.

Les garçons étaient bouche bée.

Le visage de Yoshi se figea dans l'embarras et Leandro étira sur ses lèvres un sourire séduisant. C'est pourtant Sven qui se ressaisit et me présenta. La belle réceptionniste hocha la tête d'un air entendu, nous intima de patienter quelques instants et disparut derrière une porte. Je jetai un coup d'œil amusé aux garçons qui avaient suivi du regard sa démarche souple.

Elle revint et me fit signe de la suivre. Dans un couloir étroit, elle me conduisit à un bureau où un homme d'une quarantaine d'années en complet costume cravate m'attendait.

L'entretien pouvait commencer.

Après avoir effectué quelques dizaines de courbettes auprès de l'homme qui venait de m'embaucher pour un petit contrat de trois mois, je retournai dans le hall d'accueil. Leandro et Yoshi étaient partis et Shizue se remaquillait assise sur une chaise en plastique. Elle avait sorti du fond de teint en poudre de son sac, du brillant à lèvres, un eye-liner et du mascara. Elle rejoignait bientôt Jotaro en ville.

Je cherchai Sven des yeux et le trouvai en pleine discussion avec la belle réceptionniste. Il lui avait fait déplier une dizaine de cartes sur le comptoir et une longue file s'était formée dans son dos. J'allai m'assoir à côté de Shizue, l'informai que l'entretien s'était bien déroulé et l'interrogeai au sujet de Sven.

« Ils discutent ensemble depuis que tu es partie. Je crois qu'ils se sont tapés dans l'œil, chuchota Shizue derrière sa main en m'adressant un clin d'œil malicieux.

Octopus - Tome 4 : La Pieuvre a trois coeursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant