Chapitre 3 - La captive

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Le temps avait passé horriblement lentement pour Alya. Elle vivait seule au sommet de la tour nord du château de Ruthswald, enfermée à double tour par son oncle. Elle ne recevait de la visite qu'une fois par jour. Un serviteur venait lui apporter en fin de journée un seau d'eau avec une assiette de nourriture insipide. Juste assez pour qu'elle ne meurt pas de faim ni de soif, et pour qu'elle puisse au moins se laver les mains. Ensuite, deux soldats venaient la chercher pour lui permettre d'aller aux toilettes et de respirer, mais ce moment ne durait en général pas plus d'une dizaine de minutes.

Les jours s'égrenaient un à un, et aucune occasion de s'enfuir ne se présenta à Alya. Le serviteur ne prenait même pas la peine d'ouvrir la porte pour lui passer de quoi survivre, une trappe d'une quinzaine de centimètres de large avait été aménagée dans la porte. Les soldats étaient toujours lourdement armés et ne la quittaient presque jamais du regard.

Elle finit par se résoudre au fait que le suicide était la meilleure des solutions. Elle avait totalement perdu la notion du temps. Depuis combien de semaines, mois ou années était-elle enfermée ici ? Un jour, elle réussit à discrètement glisser sa main dans la poche d'un des soldats et en tira une petite clef en métal. Lorsqu'elle fut de nouveau enfermée dans sa prison, elle tenta de tailler ses veines à l'aide de la clef. Mais rien n'y faisait.

Lorsque les soldats s'aperçurent de ce qu'elle avait fait, son oncle ordonna que ses mains soient attachées en permanence. A partir de ce moment-là, elle vécut donc, les mains accrochées au mur par une lourde chaîne. Avant, le serviteur lui déposait souvent un livre pour qu'elle puisse s'occuper un minimum, mais ses mains attachées ne lui permettaient plus d'en tourner les pages.

Alya devenait folle. Les jours où elle était autorisée à changer de vêtements, ses mains étaient enfin libérées et elle en profitait pour les glisser dans ses cheveux. Ils avaient beaucoup poussé et lui descendaient maintenant jusqu'à la taille. Ils formaient de gros nœuds, ils étaient sales et abimés. Dès qu'elle sortait, elle tentait de les dissimuler le plus possible, elle avait honte de ses cheveux et elle avait également peur qu'ils ne la trahissent. Elle portait en permanence les bandes autour de sa poitrine. Le tissu était sale et s'était déchiré à certains endroits, et sa peau était ensanglantée et irritée à cause du contact rugueux avec les bandes.

Mais elle ne se plaignait pas. Elle survivait. Protéger son secret était la chose qui comptait le plus à ses yeux. Le protéger à tout prix.

La porte s'ouvrit, il était l'heure de sa promenade quotidienne. Mais au lieu de deux soldats, c'était Archibald qui se tenait devant la porte.

Presque deux ans s'étaient écoulés depuis qu'il avait enfermé Alya. Pendant ces deux années, il avait continué de s'engraisser, tout son corps était devenu flasque et ridé. Il avait géré le domaine seul, avait collecté les impôts et s'était offert une vie de luxe. Il avait pris goût à ce pouvoir. Et il ne comptait pas l'abandonner de sitôt. Mais il savait que sa position était temporaire. De nombreuses personnes lui avaient déjà demandé où était parti Ali, ce à quoi il avait répondu qu'il l'avaient envoyé dans un internat pour son éducation. Seul un serviteur et deux soldats savaient où se trouvait réellement Ali, mais Archibald savait qu'ils ne diraient rien. S'ils disaient quoi que ce soit, ou qu'ils l'aidaient à s'enfuir, leurs familles allaient mourir. Lorsqu'Ali avait réussi à s'emparer de la clef d'un des soldats, Archibald avait fait exécuter les femmes épouses des soldats. Ensuite, ils avaient compris la leçon.

Mais aujourd'hui, Archibald avait un problème. Il allait perdre sa place privilégiée de responsable du duché de Ruthswald car demain, Ali fêterait ses 18 ans. Il deviendrait donc le nouveau duc, et Archibald serait renvoyé chez lui. Il n'aurait plus rien. Le duché de Ruthswald était particulièrement puissant, et tout le royaume avait les yeux posés sur le domaine, attendant avec impatience l'arrivée du jeune héritier. Tout le monde serait au courant si Archibald restait au pouvoir et continuait de garder Ali captif.

Il avait réfléchi à cette question pendant de longues heures. Il en avait perdu le sommeil. Ce jour-là, il avait bu, beaucoup bu. Le souci le rongeait. Qu'allait-il faire ?

Il allait tuer Ali. C'était la seule solution. Un sourire sadique naquit sur les lèvres d'Archibald qui saisit son épée et grimpa jusqu'au sommet de la tour. Il n'avait pas vu Ali depuis presque deux ans. Il ouvrit la porte et tituba légèrement, complètement ivre. Une grimace de dégoût apparut sur le visage d'Alya qui se releva. La jeune femme s'appuya contre le mur, elle était très faible, mais elle s'aperçut rapidement qu'elle était face à un homme bien plus faible qu'elle. C'était son moment. Le moment de s'échapper. Archibald claqua la porte

— Ali... Viens par là, je vais te tuer, ricana sadiquement Archibald.

Alya haussa un sourcil. Elle s'était toujours étonnée qu'il ne soit pas venu la tuer plus tôt. Elle n'était pas armée, elle n'avait rien pour se défendre. Elle contracta tous les muscles de son corps, prête à fuir. Son oncle se précipita vers elle, l'épée levée, prêt à la pourfendre.

Mais, complètement ivre, il rata son coup et se prit les pieds dans sa cape trop longue. Il tomba lamentablement au sol. Alya sauta lestement sur le côté et se précipita vers la porte. Archibald se releva et courut dans sa direction. Alya tenta de l'ouvrir, mais elle en était incapable. Elle avait besoin de la clef pour ouvrir la porte. Elle esquiva le coup d'épée que son oncle comptait lui asséner. Elle l'attrapa par le poignet qui tenait l'épée et le mordit violemment.

L'épée tomba au sol dans un bruit de cliquetis, tandis qu'Archibald hurlait de douleur comme un porc qu'on égorgeait. Il se tenait son poignet ensanglanté et ne faisait plus attention aux actions d'Alya. Elle en profita pour attraper l'épée et l'enfonça à la vitesse de l'éclair au travers du corps de son oncle. Une fois. Deux fois. Dix fois. Jusqu'à ce que son corps s'affale sur le sol en pierre.

Alya fouilla les poches de la veste d'Archibald, elle y trouva les clefs et ouvrit immédiatement la porte. Le soleil était en train de se coucher. La lumière était magnifique. Alya sourit, elle était enfin libre. Elle s'appuya sur la rambarde au sommet de la tour et contempla longuement le spectacle de la vallée qui s'étendait sous ses yeux. Les rayons rougeoyants du soleil semblaient incendier les champs de blé et rendaient toute la nature sublime.

Le visage d'Alya était noirci de crasse, ses cheveux était emmêlés et mal coupés, ses vêtements étaient couverts de sang, mais elle était belle malgré tout. Elle était belle parce qu'elle était enfin libre. Le soleil de cette fin de journée fit briller les yeux bleus océan de la jeune fille. Il les fit briller de vie et de rage. De rage de vivre. 

***

Un nouveau chapitre avec pas mal de narration, mais bientôt l'action va vraiment commencer 😎

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