Chapitre 1

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PDV Nader

Frapper, jusqu'à s'en faire mal aux poings. Frapper, jusqu'à ce que le sang recouvre ma peau. Frapper, jusqu'à ce que mon esprit soit aussi embrumé que mon corps.

Ne plus réfléchir. Simplement agir. Laisser ses membres faire le boulot seuls, éteindre sa raison et ses pensées.

Parce que c'est le seul moyen d'oublier.

Non. On ne peut pas oublier. Simplement essayer. Je n'oublie pas. Je n'oublierais jamais. J'en suis incapable. C'est gravé dans mon âme.

Le sang qui s'échappe de mes jointures tombe à grosses gouttes sur le sol. Il recouvre le poteau de bois contre lequel je m'entraîne. J'enfonce mes mains suffisamment fort dans l'écorce pour me blesser. Pas suffisamment pour le détruire. Tout ça pour faire durer la douleur un peu plus longtemps. Parce qu'elle est libératrice. De ma colère. De ma rage. De ma tristesse, aussi.

Des émotions que je ressens décuplées chaque jour. Que je m'efforce de cacher.

Pour moi. Pour ma dominante. Pour ma meute. Pour mon frère.

Ils ont déjà leur mal. Ils n'ont pas besoin du mien.

Être une meute, c'est tout ressentir pour les autres. Une bénédiction. Ou une malédiction. Aujourd'hui, c'est le dernier cas qui s'applique. Aujourd'hui, pour nous, être une meute c'est entraîner les autres avec nous vers le fond. Je refuse qu'ils coulent avec moi. Alors je ne coule pas. Je reste à la surface en résistant à cette main attachée à ma cheville, qui me tire vers le bas.

Ressentir est une tare. Un putain de boulet à mon pied. Depuis toujours. J'ai passé des années à m'efforcer de cesser d'avoir des sentiments. Pour être plus efficace. Pour ne pas avoir de faiblesses qui feraient prendre des risques aux autres. Je n'ai jamais réussi complètement. Parce qu'il y a toujours eu Ramin. Ma meute. Et maintenant, Yuki. Ma protégée. Ma dominante.

J'ai échoué. Et cet échec a des conséquences que je ne pourrai jamais réparer. Irréversibles. Comme la mort d'une des miennes. Encore.

— Tu as prévu de recouvrir la terre de ton sang ?

Je ne sursaute pas, l'ayant senti arriver depuis un moment déjà. Je sais toujours où elle est. Yuki s'arrête à côté de moi en croisant les bras sur sa poitrine, tandis que je ne cesse pas de frapper. Je l'entends marmonner que je suis un idiot, amabilité d'ordinaire réservée à mon jumeau. Je ne m'en formalise pas pour autant.

— Quelle réplique mélodramatique.

— Je n'ai pas spécialement envie de te retrouver vidé de ton sang, pour cause de défaite face à un bout de bois.

— Tu sais pertinemment que je ne risque pas de mourir de telles égratignures.

Et elle non plus. C'est presque comme une écharde, un chatouillement sur ma peau. Rien de comparable avec ce que nous avons déjà vécu, l'un comme l'autre.

— Te punir de la sorte n'a donc aucun intérêt.

— Je m'entraîne.

Je le grogne presque, même si je sais qu'elle a raison. Je fais la même chose qu'elle. Je me fustige pour mon erreur. Si il a bien une personne qui ne peut me donner de leçon sur ce point, c'est elle.

— Tu te fais du mal car tu te sens coupable de la mort de Tala.

Je frappe un peu plus fort, et cette fois, le pilier cède, avant de s'écraser lourdement au sol. Je râle, conscient que je n'ai plus rien d'autre à faire que de l'écouter. Comme si je pouvais faire autrement, de toute façon. Mon instinct envers elle est trop fort pour que je ne puisse simplement lui tourner le dos afin de ne pas l'entendre.

Avec le Destin - Notre Destinée Tome 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant