Chapitre 13

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Quelque chose ne va pas. Cette certitude me frappe de plein fouet. Ça crève les yeux. Et le cœur aussi, un peu. Peut-être pas autant que ça ne le devrait, parce que j'y suis habituée. Et ça me rend le tableau d'autant plus triste, d'une certaine façon. Orion est assis sur les genoux, à côté du canapé. Il joue avec des petites voitures que je n'ai jamais vues. L'emballage des nouveaux jouets est posé sur la table basse. Aiden est affalé dans un coin du canapé, devant la télévision. Il regarde dans le vide. Je ne vois pas ma mère, ce qui n'est pas anormal. Nous sommes dimanche, il est à peine onze heures et c'est sa seule occasion de faire la grasse matinée.

Je reviens du supermarché. Je suis allée acheter du lait et des céréales et je n'avais pas envie de rentrer tout de suite à l'appartement, alors j'ai passé une petite heure à déambuler dans les rues du côté de Central Park, mes écouteurs dans les oreilles. J'ai quitté l'appartement il y a à peu près deux heures et alors, Aiden avait l'air normal. Enfin, il faisait la gueule, mais rien qui ne sorte de l'ordinaire. Et il n'y avait pas de petites voitures. Je ne vois donc qu'une seule explication: leur père est passé. Je décide d'aller m'installer à côté de mon frère, sur le canapé.

– Aiden?

Il garde obstinément le regard fixé sur le mur en face de lui.

– Aiden.

Il ne répond pas. Sa jambe se met à trembler frénétiquement et l'une de ses mains s'agrippe à son jogging. Si j'insiste, il va exploser, je le connais. Je change donc de tactique et je rejoins Orion sur la moquette.

– Votre papa est passé ? demandé-je en m'asseyant à ses côtés.

– Ouais ! Et regarde, il m'a apporté des voitures.

Il me les pose sur les genoux en continuant son joyeux babillage.

– C'est vraiment trop cool ! Ça fait longtemps que je les veux, en plus. Je lui en ai un peu parlé la dernière fois qu'il est venu, mais je pensais pas qu'il s'en souviendrait. Sauf que si ! Il est vraiment symp-

– Putain mais, ta gueule, Orion ! TA GUEULE !

Mon plus petit frère se pétrifie totalement. Ses grands yeux bleus se remplissent instantanément de larmes et sa lèvre inférieure se met à trembloter. Je me retourne vivement vers Aiden, les yeux exorbités.

– Mais qu'est-ce qui te prend ? Ça va pas ?

Il est debout au milieu de la pièce, fulminant. Il a les narines dilatées, les poings frémissants et les épaules tremblantes. Il est souvent énervé, mon frère. Contre la terre entière. Contre maman. Contre moi. Contre son père, aussi. Mais là, là c'est différent. Je l'ai rarement vu aussi... Aussi désespéré. Ça n'aurait pas été mon frère, je me serais dit qu'il est simplement bien vénère. Simplement, voilà. Aiden a les larmes aux yeux. Et lorsqu'Aiden a les larmes aux yeux, c'est qu'il est au bout du bout.

– J' me casse, vous me faites tous putain de chier, crache-t-il en rejoignant l'entrée à grands pas.

– Aiden, reste là ! crié-je.

– T'es pas ma mère !

La porte claque. Orion fond en larmes.

– Il...Il...Il m'aime pas... hoquette-t-il en se couvrant les yeux.

Il s'exprime difficilement, entre deux sanglots. Je le prends dans mes bras et il enfouit la tête dans mon sweat.

– Mais si, petit chat, murmuré-je d'un ton rassurant.

– Alors pourquoi il est...mé...méchant comme ça ? articule-t-il, perdu au milieu de sa crise de larmes.

– Parce qu'il est triste.

Les touches noiresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant