Epilogue

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Oliver

Vinny s'est endormie dans mon lit. Son carnet de dessin est ouvert sur une esquisse de portrait, à quelques centimètres d'elle. Ses longs cils noirs reposent doucement sur ses joues blanches et l'une de ses mèches de cheveux retombe devant ses lèvres entrouvertes. Elle est étendue sur le côté, sa fine silhouette noyée dans l'un de mes sweats. Je la regarde dormir paisiblement, assis contre l'armature du lit et le dos appuyé contre un coussin. Un sourire attendri éclot sur mes lèvres. Je la trouve magnifique.
Je reporte mon attention sur le cahier aux pages écornées entre mes mains. Un début de partition, gribouillée au crayon, prend la moitié de la page de droite. « Les touches noires ». Le titre de la mélodie que Vinny m'inspire. Au début, les blanches, les noires et les croches forment quelque chose de très mélancolique. Le genre de mélopée douce qui rappelle les regrets et la douleur. Puis, peu à peu, le morceau s'éveille, éclot en un sursaut de passion et de renouveau qui fait accélérer mon cœur à chaque fois qu'il naît sous mes doigts. Je ne l'ai pas fini. Pas encore. Mais, lorsque ça sera le cas, je prendrai Vinny par la main, je la placerai sur l'un des sièges en velours du premier rang et je lui jouerai le morceau, rien qu'à elle.

Mes yeux se posent sur sa main droite, recroquevillée près de son visage. Son index est décoré d'une bague en acier, toute simple. Je ne sais même pas pourquoi elle s'obstine à la porter sans arrêt, puisqu'elle n'est même pas vraiment jolie. Pourtant, enroulée autour de sa peau blanche, j'ai l'impression d'observer le plus beau bijou que je n'ai jamais vu. Je ne lui ai jamais dit que c'était ma bague. Je ne sais pas si je le lui avouerai un jour. Peut-être après lui avoir joué mon morceau.

Il y a environ un an, je suis entré dans le restaurant de Mel. Je ne sais pas vraiment pourquoi. Je savais qu'elle travaillait là, pourtant. Je savais que j'allais la croiser. Je me suis assis à la table la plus reculée de la salle, une épaule appuyée contre le mur. Je venais de faire une crise d'angoisse tellement violente que j'en tremblais encore de l'intérieur. En triturant nerveusement ma bague, j'ai observé les gens s'activer autour de moi. Il y avait du monde, ce jour-là. Assez pour que je passe inaperçu une poignée de minutes aux yeux des serveurs.

Lorsqu'elle est sortie des cuisines, tout mon corps s'est tendu. Je l'ai suivi des yeux tandis qu'elle évoluait entre les clients. Je n'ai pas détourné le regard avant de longues minutes. Petit à petit, mon cœur s'est apaisé. Elle souriait aux personnes attablées et pendant une seconde, je me suis pris à imaginer que son sourire était pour moi. L'instant d'après, j'étais debout et je quittais le restaurant en trombe, la respiration saccadée. J'ai oublié ma bague sur la table. Lorsque j'ai remarqué quelques jours plus tard que Vinny la portait, ça m'a fait une sensation bizarre au fond du ventre. Sans vraiment comprendre pourquoi, j'ai décidé de la lui laisser. Aujourd'hui, j'espère qu'elle ne la retirera jamais.

Vinny remue à côté de moi. Ses paupières papillonnent quelques secondes avant de s'ouvrir lentement. Lorsqu'elle m'aperçoit, elle me sourit. Doucement, j'ouvre mes bras pour qu'elle vienne s'y loger. En lâchant un éclat de rire fatigué, elle se love contre mon torse, la tête nichée dans le creux de mon cou. Au bout de quelques secondes de silence confortable, sa voix endormie brise le silence.

– Oliver ?

– Oui?

– Est ce que t'es heureux ? murmure-t-elle en s'écartant de moi pour observer mon visage.
Et en plongeant mes yeux dans ses prunelles brillantes, je sais que je le suis.

Les touches noiresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant