Aiden s'est endormi. Après de longues minutes à pleurer dans sa chambre, serré contre ma mère, il a fini par s'assoupir tout contre elle. Elle a cédé au sommeil quelques minutes après lui, la trace de ses larmes encore fraîches sur ses joues creusées. Le bruit que nous avons fait en retournant à l'appartement l'a réveillé. Elle est sortie précipitamment dans le couloir et elle nous a vus, tous les trois serrés dans l'entrée, avec Aiden appuyé sur Oliver. Lorsqu'il a croisé son regard, mon frère s'est remis à pleurer. Moi aussi. Ma mère s'est précipitée vers nous, l'air affolé. Elle a immédiatement demandé ce qu'il s'était passé. Mais au fond d'elle, elle avait déjà compris.
Après un silence de mort, entrecoupé par les reniflements de mon frère, je lui ai raconté. Elle a ouvert de grands yeux larmoyants, choquée et horrifiée. Elle s'est plaquée la main sur la bouche, s'est mise à pleurer, puis à crier à mon frère de ne plus jamais recommencer, avant de le serrer dans ses bras de toutes ses forces en sanglotant. J'ai aidé ma mère à l'emmener dans sa chambre pendant qu'Oliver attendait dans le couloir. Je suis restée un peu avec eux, jusqu'à ce que leur vision dévastée devienne trop dure à digérer et que je préfère les laisser seuls. Je suis restée prostrée sur le canapé, à regarder dans le vide. Oliver s'est assis à côté de moi, sans rien dire. Lorsque j'ai estimé avoir réuni assez de courage pour revenir dans la chambre, ma mère et Aiden étaient assoupis l'un contre l'autre. Je détaille maintenant leurs airs paisibles, l'épaule appuyée à l'encadrement de la porte. Une belle illusion. Ma gorge se noue.
Avec l'impression d'être sur pilote automatique, je pars me réfugier dans ma chambre. Je me plante au milieu de la pièce et je reste là, prostrée. J'entends des pas derrière moi et le battant grince en s'ouvrant un peu plus. Oliver s'arrête à ma hauteur et je sens son regard sur moi.
– Tu veux que je parte? me demande-t-il après un silence.
Je lève les yeux vers lui. Ses cheveux sont encore un peu humides et lui retombent sur le front, en mèches désordonnées. Il me détaille avec une expression préoccupée. Je ne sais pas quoi répondre. Je me contente de le regarder. Il se tient droit, les bras ballants et l'air de ne pas savoir quoi faire de son grand corps. Mes yeux, que je suis parvenue à garder secs au cours des dernières minutes, se remplissent à nouveau de larmes. Tout le contrecoup de cette soirée cauchemardesque me revient à la gueule et je me sens craquer. J'ai besoin de soutien. J'ai besoin que quelqu'un me réconforte et me dise que tout va s'arranger. Parce que, quoi que j'essaye de dicter à mon esprit, je n'arrive pas à m'en convaincre seule. Pas alors que je ne parviens pas à déloger l'image d'Aiden au bord du vide de mon esprit. Le regard rassurant d'Oliver me donne envie de me reposer contre lui. Je suis exténuée.
Alors je n'y tiens plus. Avec un sanglot qui fait tressauter mes épaules, je me laisse tomber dans ses bras. Ma tête glisse dans le creux de son épaule et je me mets à pleurer silencieusement contre sa peau chaude. Après une légère hésitation, il finit par me serrer tout contre lui. Le soulagement déferle en moi et je me perds dans son étreinte rassurante. Il pose son menton sur le haut de ma tête et l'une de ses mains vient se perdre dans mes cheveux.
– C'est fini, murmure-t-il tout bas. Il a pas sauté, Vinny.
– Mais il aurait pu. Putain, il...
– Il ne l'a pas fait. Le reste, on s'en fout. Il l'a pas fait et je te garantis qu'il recommencera plus jamais.
Je hoche la tête contre la fabrique encore humide de son T-shirt, parce que j'ai envie d'y croire. Et parce que j'ai vu dans les yeux d'Aiden qu'il a regretté presque aussitôt. Nous restons enlacés de longues secondes, à simplement écouter le son de nos respirations. Celle d'Oliver est calme, et je me calque sur son rythme lent pour apaiser les palpitations affolées de mon cœur. Je sens ses doigts contre mon dos, sa grande main dans mes cheveux et son odeur tout autour de moi, mon visage à quelques centimètres seulement de la base de son cou. Je finis par me détacher de lui et m'asseoir sur mon lit, les genoux ramenés contre mon torse et le dos collé au mur. Oliver se pose à côté de moi. Nos épaules se frôlent.
– J'aurais dû remarquer les signes, murmuré-je. Il y en avait tellement. Et j'ai pas été foutue de regarder correctement.
Je me rappelle de toutes les fois où Aiden a dit des choses qui auraient pu me mettre sur la voie - qui auraient dû m'alarmer et me pousser à creuser plus profond. «C'est quand que ça va s'arrêter, Vinny? J'veux que tout s'arrête. J'en peux plus».
« Épargne moi tes discours de grande sœur inquiète, s'te plaît. Tout va bien. Je suis juste crevé et bordélique». « Tu sais, Vinny, y a rien qui va, depuis tout ça». C'était juste-là, devant mes yeux. Des appels à l'aide continus que je n'ai pas su décrypter. À côté de moi, Oliver secoue la tête.– Un jour, ton frère m'a dit qu'Evan lui manquait tellement qu'il pourrait en crever. Il était en colère et il était triste. Un peu bourré, aussi. Je me suis dit que c'étaient des paroles crachées sur le coup, sans impact ou conséquence. Des ados tristes qui débitent des choses comme ça sans les penser vraiment, il y en a plein. Alors je me suis inquiété de son état, bien sûr, parce que ça me faisait de la peine de le voir en vrac comme ça, mais je ne me suis jamais dit qu'il voulait vraiment mourir. Les indices paraissent toujours évidents lorsqu'on a la réponse. Tout s'emboîte parfaitement lorsqu'on a l'élément crucial qu'il nous manquait. C'est comme les pièces d'un puzzle. Isolées, elles ne valent rien.
J'appuie ma tête contre le mur, les yeux rivés à un point invisible sur le plafond. J'entends les draps se froisser et le bruit d'une légère collision. Je devine qu'Oliver s'est mis dans la même position que moi. Je tourne la tête vers lui. Il me regarde déjà.
– Merci, d'avoir été là. Je sais pas comment ça aurait fini, sans toi.
Il m'offre un petit sourire, du bout des lèvres. Elles sont un peu gercées, comme toujours. Étonnement rouges, pour un garçon. J'attarde mon regard dessus quelques secondes de trop, j'en ai conscience. Mais j'ai du mal à détourner les yeux. Une envie longtemps refoulée se met à enfler dans mon ventre. Je me mords l'intérieur de la joue en relevant les yeux. Ils se bloquent sur ceux d'Oliver.
Il ne sourit plus du tout ; plus aucune trace d'apaisement dans son regard. Il me dévisage intensément, les prunelles ardentes. Il est si proche que je peux discerner la petite tache brun foncé à côté de sa pupille. Un frisson me remonte le long de la nuque. Sa main effleure la mienne sur les draps. Il se penche doucement vers moi, sans briser le contact visuel. Je retiens mon souffle ; les battements de mon cœur s'accélèrent. C'est à ce moment précis, alors qu'il est sur le point de m'embrasser, que je me rends compte d'à quel point j'en ai envie. Et à sa façon de me regarder, je comprends que lui aussi.
Mais parfois, l'envie n'est pas suffisante. C'est sans doute pour cette raison qu'il se recule précipitamment et qu'il se relève dans un sursaut. Il a les yeux écarquillés et la bouche entre-ouverte. Il reste planté quelques secondes au milieu de la pièce, les poings crispés le long du corps, à me dévisager d'un regard vitreux.
– Faut que... Faut que j'y aille, bredouille-t-il, avant de tourner les talons et de claquer la porte derrière lui.
Je me laisse retomber sur mon lit en fermant les yeux.
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Les touches noires
RomantikL'amitié de Vinny et Oliver a toujours sonné comme une évidence. Le genre de relation unique, grandiose et indicible qui remue au plus profond de l'âme. Jusqu'au dix-huit janvier de l'année de leurs quinze ans. Jusqu'à l'horreur, les larmes et les f...