Chapitre 14

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On toque à l'encadrement de la porte. Je relève la tête. Ma mère est là, adossée à la chambranle.

– Tu sais où est ton frère ?

– Aiden ?

– Oui, Aiden, répond-elle, assez sèchement.

Je fronce les sourcils. Elle pousse un soupir exténué en se passant une main sur le visage.

– Désolée Vinny. C'est juste que je m'inquiète.

Je lui offre un petit sourire compréhensif.

– Alors, tu sais ?

– Non, désolée. Il ne m'a rien dit.

Le regard de ma mère se remplit d'inquiétude et je m'empresse d'ajouter, pour la rassurer un peu:

– Je crois qu'il a parlé de passer du temps chez un ami, après Central Park. Il ne va sûrement pas tarder.

Pur mensonge, mais je considère que ma mère a assez de stress à gérer. Et que mon frère se démerde, pour une fois. Il est grand temps qu'il apprenne à s'occuper de lui tout seul. On a tous assez donné. Ma mère pousse un petit soupir soulagé.

– Bon, tant mieux. Mais s'il n'est pas rentré d'ici trente minutes, il va m'entendre.

Et avec ça, elle me fait un dernier sourire reconnaissant, avant de refermer la porte derrière elle.

Je me retrouve à nouveau seule. Gaby et Elio sont partis il y a environ deux heures, après s'être assurés au moins une centaine de fois que tout allait bien. Gabriel s'est confondu en excuses, l'air complètement abattu et l'expression traduisant tous les remords de l'univers. Alors, j'ai pris sur moi. Je lui ai dit « T'inquiète Gaby, tout va bien. Tu pouvais pas savoir».

Et c'est vrai. Comment aurait-il pu ? Il n'a pas observé l'aquarelle assez longtemps pour remarquer le grain de beauté en dessous de l'œil, les oreilles un peu décollées et la tache verte au milieu de l'azur de l'iris gauche. C'était une erreur toute innocente et sans arrières pensées aucunes. Gaby ne prononcerait jamais des mots qui pourraient blesser les gens qu'il aime intentionnellement. Et pourtant, ça fait deux heures que je suis prostrée au milieu de ma chambre, en tailleur sur les lattes fraîches. Je n'ai pas bougé d'un cil. Mes carnets sont toujours éparpillés en petits tas branlants tout autour de moi. Je n'y ai plus touché. Pas envie de retomber sur des images tristes. Tristement ironique, de trouver triste l'image d'un garçon qui sourit. Je lâche un éclat de rire sec. Un gargouillis horrible qui se transforme en un sanglot rauque tout au fond de ma gorge. Je me relève précipitamment, les yeux hagards. Je n'ai pas envie de supporter une nouvelle crise de larmes. Je dois absolument rester occupée.

Je me mets à remballer mes carnets. Je réunis les feuilles volantes ; je les fourre au hasard entre les pages jaunes ; je remets les minuscules croquis à peine esquissés dans leur enveloppe kraft et peu à peu, l'image s'estompe. Pas totalement. Jamais totalement. Disons plutôt que les couleurs agressent moins mes rétines et que les contours perdent de leur texture. Le rugissement devient murmure.

J'aurais pu en rester là, à peu prêt en paix avec moi-même. J'aurais pu terminer la journée pas trop mal - mais pas trop bien non plus - dans cet entre-deux rassurant qui n'incite pas à vraiment réfléchir. Le gris est une couleur neutre et lorsque l'esprit s'en habille, il fait en sorte de l'imiter. Mais je l'ai ramassée, cette foutue feuille; et je l'ai retournée distraitement entre mes doigts. Des yeux ambrés et espiègles me rendent mon regard avec une assurance toute honnête. J'ai l'impression d'observer de vraies prunelles et c' est tellement bouleversant que je maudis presque mon talent avec les pinceaux. Du haut de ses quinze ans tout frais, Oliver me dévisage.

Les touches noiresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant