Chapitre 3

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 Mes paupières sont collantes lorsque j'ouvre les yeux. Déjà, les contours de mon rêve s'estompent avec le retour à la conscience. À ma gorge sèche et à la sueur moite contre mon dos, je sais que c'était un cauchemar. Je sors du lit en m'étirant, les muscles courbaturés. J'enfile un col roulé noir, un sweat à capuche et un pantalon large. À la recherche de mon sac, je jette un coup d'œil aux recoins de ma chambre. J'en ai fait quelque chose de joli, au fil du temps.

Les murs blancs, simples, et le miroir accroché à la porte la font paraître plus spacieuse qu'elle ne l'est réellement. L'un des pans est presque entièrement recouvert de photos et de guirlandes multicolores, qu'Emy m'a offert pour mes seize ans. Au-dessus de mon bureau s'étalent toutes sortes de dessins: des esquisses de visages ; des portraits à l'aquarelle ; la courbe d'un sourire sur le bout froissé d'une feuille à carreaux ; l'éclat des yeux noisette d'Elio sur un bout de papier un peu déchiré ; Gaby sur son balcon, une cigarette entre les lèvres ; des papillons gribouillés sur un post-it, au milieu de pense-bêtes et de paroles de chansons. Les dessins se superposent, par dizaines. Un amas brouillon, bancal, qui manque probablement de structure. Je trouve ça beau. L'étagère sous ma fenêtre croule sous les plantes artificielles, les babioles stupides trouvées en brocante, les tubes de rouges à lèvres, les mugs ébréchés aux citations pourries et le petit cactus qu'Elio a volé sur le bureau de notre prof d'anglais, Madame Théodore, l'année dernière. Mon lit est encombré de coussins, de plaids et de fringues qui se baladent un peu partout. Une chambre mal rangée d'ado typique. Tout ce qu'il me faut, quelque part. Ça me rappelle que, même en jouant à faire l'adulte, j'ai toujours dix-sept ans.

– Orion ! appelé-je en sortant de ma chambre.

Je le trouve installé à la table de la cuisine, occupé à grignoter une tartine. Il a réussi à se mettre de la confiture sur le nez.

– T'es prêt ? On part dans dix minutes.

Il hoche la tête, la bouche pleine. J'attends mes frères dans le couloir, adossée au mur. Quelques minutes plus tard, nous sommes à l'extérieur, exposés à la bise fraîche de ce milieu de mois de mars. Nous marchons aussi vite que les petites jambes d'Orion peuvent nous le permettre. Arrivés à l'intérieur du bus, nous nous efforçons de lui trouver une place assise. Lorsqu'il n'y en a aucune de libre, je fais de mon mieux pour le maintenir en équilibre sur le sol mouvant. Aujourd'hui, nous avons de la chance et, avec soulagement, je le regarde prendre place sur une banquette libre. Aiden s'assoit à côté de lui.

Ils se ressemblent, tous les deux. Des yeux bleus - qui tirent au vert sur les contours de l'iris - des cheveux couleur chocolat fondu et un sourire un peu de travers. Leur père a sans doute été le plus convenable des compagnons de maman. Il prend de leurs nouvelles de temps en temps et il vient parfois leur rendre visite. C'est tendu, entre Aiden et lui, mais Orion est très content de le voir, la plupart du temps. Il ne le considère pas vraiment comme un papa – plutôt comme un oncle sympathique – mais il l'aime bien. Il est gentil avec lui et il lui apporte des petites voitures. Ça lui suffit.

On ne parle pas de mon père.

*

– Mais pourquoi ? s'exclame Avery en fronçant les sourcils.

Nous sommes réunis autour de l'une des tables du réfectoire et Ronan vient de nous annoncer qu'il comptait faire une soirée vendredi, après le match de basket. Avery s'est étouffée avec son céleri, j'ai failli recracher mon eau et Emy s'est contentée de cligner des yeux.

– Pourquoi faire une soirée pour un match que vous allez probablement perdre ? m'enquiers-je.

Avery secoue la tête et l'une de ses mèches rousses, parfaitement lustrée et bouclée, retombe devant son visage.

Les touches noiresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant