Chapitre 20

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C'est la quatrième fois que je repose discrètement la fourchette que j'avais amenée à ma bouche dans mon assiette. Les légumes fades qu'elle contenait glissent dans la sauce sans saveur d'un bout d'agneau trop cuit. Je suis parfaitement incapable d'avaler quoique ce soit. J'ai le ventre trop noué.

– Et toi, Vinny ?

La voix de Ronan me ramène à la conversation. Je pose un regard égaré sur mon ami.

– Moi quoi ?

Du coin de l'œil, j'intercepte le regard soupçonneux que s'échangent Elio et Avery.

– T'es libre vendredi soir ? On s'est dit que ça pourrait être sympa de se faire une soirée film entre nous, chez moi. Ça fait un petit bout de temps qu'on a pas fait ça.

– T'avais loupé la dernière, en plus, ajoute Elio. Si tu veux qu'on te considère comme une pote décente, tu peux pas louper celle-là.

Mes amis m'adressent un regard implorant.

– Oui oui, je serai là, affirmé-je, sans y mettre autant d'enthousiasme que je l'aurais voulu.

Un silence perplexe se fait sur la tablée. Je baisse la tête sur mon plateau en déglutissant.

– Vinny, qu'est ce qu'il y a ? finit par demander Will en fronçant les sourcils.

– T'es toute pâle, ajoute Emy, la mine inquiète.

À côté de moi, Avery me donne une tape sur la main. Inconsciemment, je m'étais mise à me ronger les ongles.

– Un compte anonyme m'a envoyé une photo de moi qui marchait dans la rue la nuit, déballé-je à toute vitesse.

L'atmosphère se modifie instantanément. J'ai l'impression de sentir le poids de l'oxygène peser sur mes épaules. Leurs regards, rivés sur moi, sont remplis de perplexité, d'inquiétude et de confusion.

– Attends, quoi ? finit par lâcher Elio, les yeux écarquillés.

Son brusque changement d'humeur crispe les autres d'autant plus. Lorsque Elio devient sérieux, c'est qu'il se passe quelque chose de sérieux.

– Comment ça, une photo de toi ?

– Et c'était quand ?

– T'as pas vu qui avait pris la photo?

Je m'humecte les lèvres en me redressant sur ma chaise. Je leur rapporte alors ma soirée de samedi soir dans les moindres détails, sans rien omettre de mon sentiment de malaise lorsque j'étais seule dans la rue. Will me demande immédiatement mon téléphone pour examiner le compte Instagram et la photo, la mine grave.

– J' te jure que si je me retrouve en face de ce malade, je lui pète le crâne, affirme Ronan, les yeux perdus dans le vide.

– Merde... murmure Will en se passant une main sur le visage.

Emy me dévisage avec de grands yeux affolés, une main plaquée sur la bouche. Je jette un coup d'œil à Oliver. Il se triture les doigts, l'air soucieux. Avec une voix tendue, Avery me demande pour la troisième fois si je suis persuadée de ne rien avoir aperçu de suspect.

– Même pas un vieux mec lubrique qui te matait pendant ton service? insiste-t-elle en m'attrapant les mains.

Je secoue fermement la tête. Mais le pire, c'est Elio. Il reste prostré, à fixer la table en formica. Puis, très doucement, il relève la tête vers moi.

– Pourquoi tu m'as pas appelé ?

– J'ai préféré attendre qu'on se voit. Y a rien qui pressait et...

Les touches noiresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant