Chapitre 6

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 Le bâtiment du conservatoire est une jolie et modeste structure habillée d'une belle façade reluisante, tout en angles et en larges fenêtres. Avant de pénétrer à l'intérieur, j'ai pris l'habitude de frotter les semelles de mes chaussures sur la pelouse impeccable, pour en détacher les bouts de terre.Ça fait seulement deux mois que je travaille ici les samedis soirs et pourtant, j'ai cette étrange et agréable impression de m'y sentir chez moi.

Je contourne l'entrée principale et longe le mur de droite pour rejoindre la porte de service. Je pénètre à l'intérieur du conservatoire en ajustant mon sac à dos sur mes épaules. Je débouche sur la petite entrée, décorée d'un tapis rêche décoré d'un Welcome vert et rouge avec de petits sapins tout autour - Gioia m'a un jour expliqué qu'il vieillissait ici depuis le Noël d'il y a cinq ans - d'un porte manteau dont personne ne se sert et de trois portes jaunes (l'une donnant sur le vestiaire, l'autre sur les toilettes et la troisième sur le hall du conservatoire). J'entre dans le vestiaire – qui sert aussi de salle pour entreposer les produits ménagers. Gioia est là, occupée à disposer tout un tas de bouteilles sur un petit chariot. Lorsqu'elle m'aperçoit, elle lâche tout ce qu'elle a dans les mains, attrape un thermos posé sur le banc et me le fourre entre les doigts.

Ciao pulcino ! s'exclame-t-elle avec son fort accent italien. Je t'ai fait un thé. C'est très délicieux et ça fait chaud !

Gioia est une petite femme rondelette, qui ne doit pas dépasser le mètre cinquante-cinq. Elle porte toujours ses cheveux gris attachés en un chignon bas. Son nez, légèrement épaté, est couvert de petites tâches de vieillesse et se retrousse lorsqu'elle désapprouve quelque chose. Ses rides prononcées s'accentuent lorsqu'elle sourit et les petites pattes d'oie au coin de ses yeux lui confèrent un air jovial.

Les poings sur les hanches, elle me détaille de ses petits yeux noirs et brillants.

– Ça donne des forces pour le travail, pulcino !

– Merci, Gioia. Quand est-ce que tu te décideras à m'appeler par mon prénom ?

Elle marque un petit silence, visiblement plongée dans une intense réflexion.

– Je préfère pulcino, alors tu es pulcino, décrète-t-elle finalement.

– Tu es au courant que je sais toujours pas ce que ça veut dire ?

– Ça veut dire « mon poussin", répond-elle très sérieusement en enroulant le "r".

Devant sa mine parfaitement blasée, je me retiens de rire.

– Il y a paperella, si tu préfères. "Mon canard qui est petit".

– Je peux choisir ?

Sì. Oui.

Pulcino, c'est très bien.

– Parfait alors, pulcino ! s'enthousiasme-t-elle en tapant dans ses mains. Dai, on a du pain sur la planche.

Rapide comme l'éclair, Gioia attrape son chariot et disparaît par la porte menant sur le hall en courant sur ses toutes petites jambes. Je m'empresse d'avaler deux autres gorgées du thermos, avant de m'asseoir sur l'un des bancs pour retirer mes chaussures. Je me défais de mon manteau, retire mon jean, mon T-shirt et mon sweat puis les plie en un petit tas négligé. Je m'adonne ensuite à enfiler ma tenue de travail, à peu près ajustée. Le pantalon en tissu grossier, couleur mante religieuse, tombe un peu sur mes hanches et le T-shirt me va trop large, mais ça fait l'affaire.

Gioia repasse la tête par la porte.

Veloce, veloce ! Dépêche-toi ! s'exclame-t-elle en agitant ses petits doigts boudinés.

Les touches noiresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant