Je referme le placard de la cuisine, un verre à la main. J'attrape une bouteille d'eau dans le frigo et je le remplis à ras bord. Je bois deux grandes goulées, les yeux fixés aux magnets du frigo. Il est quatre heures du matin. Nous sommes tous allés nous coucher vers deux heures, après avoir passé la soirée à papoter au bord du lac et à regarder des films. Contrairement aux autres, je n'ai toujours pas réussi à m'endormir. Je me suis obstinée à somnoler plusieurs heures d'affilée, décidée à faire venir le sommeil jusqu'à moi, avant de me résigner en constatant que je retournais mon oreiller pour la dix-neuvième fois. Comme la nuit précédente, je me retrouve donc adossée à l'îlot central. En reposant mon verre vide sur la table, j'intercepte un mouvement du coin de l'œil, derrière la baie vitrée qui donne vue sur la terrasse. Une silhouette est assise sur l'une des chaises qui entourent la table en acajou. Elle est éclairée par le bout rougeoyant d'une cigarette. Je fais coulisser la baie vitrée et je me retrouve à l'extérieur.
– File moi une clope.
Oliver lève les yeux vers moi, sa cigarette à deux centimètres de ses lèvres. Il hausse un sourcil.
– Non.
Je lève les yeux au ciel.
– Je te la rembourserai. J'ai juste la flemme d'aller chercher mon paquet.
Il pousse un soupir tonitruant. Quel chieur. À contre cœur, il me tend l'autre cigarette, qu'il avait pré-roulée.
– Adorable.
Il me répond par un doigt d'honneur. Je tends la main, paume vers le haut, pour qu'il me donne son briquet. Il la considère quelques secondes, les yeux plissés, avant de se lever de sa chaise. Je hausse un sourcil en le regardant quitter la terrasse d'un bond.
– Qu'est ce que tu fous? m'enquiers-je en entreprenant quelques pas vers lui.
– Suis-moi, lance-t-il par-dessus son épaule. Il y a trop de moustiques, ici. Et la vue est moche.
Je jette un coup d'œil aux moustiques qui se jettent contre la baie vitrée - j'ai oublié d'éteindre la lumière de la cuisine - avant de le suivre en grommelant. Nous nous enfonçons dans le jardin de Ronan, en silence. L'herbe est douce et fraîche sous mes pieds nus et je fais mon possible pour éviter les obstacles dans l'obscurité. Oliver semble savoir exactement où il va. Il vient ici souvent, en même temps. Au bout de quelques dizaines de mètres, le bruit diffus du clapotement de l'eau me parvient aux oreilles.
– Me dis pas que tu veux aller faire trempette?
Il se retourne vers moi et le clair de lune me permet d'apercevoir son sourire espiègle. Je lui sers une expression blasée.
– Oliver.
Il ricane doucement.
– Je rigole. J'ai pas envie de me choper un rhume.
Il se contente de s'asseoir dans le sable, face à l'étendue d'eau scintillante. Les étoiles se reflètent distinctement sur le clapotement des vaguelettes et procure au tableau une dimension presque surnaturelle. Je m'installe à côté de lui. Le sable est froid et fin entre mes doigts. Oliver me tend son briquet et je m'évertue à allumer ma cigarette. Pendant ce temps, il cale son téléphone - flash allumé - sur son genou, et commence à se rouler une autre clope.
– J'aurais toujours des poumons sains si je t'avais pas rencontré, raillé-je.
Oliver laisse échapper un rire en enroulant soigneusement la feuille autour du tabac et du filtre. La nuit est assez claire pour que je puisse apercevoir ses tâches de rousseur.
– Tu peux t'en prendre qu'à toi-même. (Il passe sa langue sur l'extrémité de la feuille pour finaliser le tout). T'es trop influençable.
Je tapote le bout de ma cigarette et les cendres chaudes se répandent sur le sable.
– T'aurais pu m'en empêcher et essayer de préserver ma santé.
VOUS LISEZ
Les touches noires
RomanceL'amitié de Vinny et Oliver a toujours sonné comme une évidence. Le genre de relation unique, grandiose et indicible qui remue au plus profond de l'âme. Jusqu'au dix-huit janvier de l'année de leurs quinze ans. Jusqu'à l'horreur, les larmes et les f...