Chapitre 5

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 – Cette bière est dégueulasse.

Elio fait la grimace, l'air dégoûté.

– Non, je trouve pas.

Gaby hausse les épaules en reprenant une gorgée de sa cannette. Ses pommettes ont viré à l'écarlate, à cause du froid. J'ai toujours été assez impressionnée par la capacité que possède sa peau à rougir pour trois fois rien. Nous sommes tous les trois installés sur son balcon. On est vendredi soir et il doit être un peu plus de vingt et une heures. Les minuscules braises qui s'échappent du bout de ma cigarette peinent à réchauffer mes doigts engourdis. Nous sommes chacun emmitouflés dans un plaid bien chaud, à se passer un paquet de granolas à tour de rôle. L'air, chargé d'humidité, sent la cendre et le sucre. Une petite lampe, posée sur la caisse, éclaire timidement nos visages détendus.

– C'est quand que tu t'es brossé les dents pour la dernière fois ? je demande à Elio.

– Juste avant de venir.

Il marque une pause, pensif.

– Ah. Oui. Dentifrice et bière, ça donne un mélange douteux.

– T'es con.

– Un trou du cul, renchérit Gabriel.

Elio se relève d'un bond, les sourcils froncés.

– Vous avez gagné, je retourne sur mon balcon.

Avec de grands gestes théâtraux, il enjambe la rambarde et se retrouve en équilibre au-dessus du vide. D'un bond adroit, qui laisse deviner qu'il a fait ça des centaines de fois, il se retrouve sur son balcon. Il se tourne vers nous, l'air fier de lui. Nous l'observons sans rien dire, blasés. Il plisse les yeux en croisant les bras.

– Vous êtes censés me demander de revenir, là, marmonne-t-il.

– T'es très bien où t'es.

– On a plus de place du coup, merci mec, ajoute Gaby.

Elio lui lance un regard trahi en passant les doigts dans ses boucles.

– Faux frère.

– Oui.

Elio hausse les sourcils en clignant plusieurs fois des yeux. Il finit par soupirer, vaincu.

– Bon, j'reviens. Mais croyez pas que c'est pour vous hein, j'ai juste oublié mes clopes.

– Évidement.

– Ça va de soit.

– Et arrêtez de vous foutre de ma gueule ou j'vous fait passer par dessus la rambarde.

Elio se rassoit et nous reprenons le cours de notre discussion, en nous chamaillant la couverture. Du moins, Elio et moi. Gabriel est ailleurs. Je le devine à la façon dont il fait frénétiquement trembler sa jambe et aux cuticules qu'il arrache distraitement. Des gouttes de sang commencent à perler du bout de ses doigts. Elio l'a remarqué, lui aussi. Il y a jeté plusieurs coups d'œil et son expression s'est peu à peu fermée.

– Qu'est-ce qui va pas ? finit-il par demander à notre ami en lui donnant un petit coup d'épaule.

Gabriel relève les yeux, les sourcils froncés.

– De quoi tu parles?

– J'sais pas, t'es triste.

– Je suis pas triste.

Elio ne répond rien. Il se contente de le dévisager attentivement. Gabriel détourne le regard en se mordant l'intérieur des joues. Sans quitter les immeubles illuminés qui se dessinent dans la pénombre, au-delà du balcon, il annonce:

Les touches noiresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant