Chapitre 18

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Le mercredi après les cours, je vais souvent à la bibliothèque du lycée pour travailler. J'y reste jusqu'à la fermeture. Sauf quand je m'engueule avec Aiden et qu'il refuse de récupérer Orion à l'école pour le surveiller jusqu'à ce que je rentre. Dans ce cas, c'est moi qui m'y colle. J'ai tendance à le détester, dans ces moments-là. Il me retire cette parenthèse de calme dont j'ai vraiment besoin. Mais c'est Aiden, et c'est presque impossible de le forcer à faire quelque chose quand il ne veut pas.

Ici, ils ont des ordinateurs et une connexion efficace. Je n'ai rien de tout ça, à la maison. J'ai bien la vieille antiquité numérique qui prend la poussière dans le salon, mais c'est impossible d'y travailler efficacement. J'essaye d'économiser un peu pour m'acheter un PC digne de ce nom, mais c'est vraiment cher. Généralement, les choses que je me permets d'acheter dans mon intérêt, ce sont des vêtements et des livres. J'ai toujours aimé être bien habillée. En me regardant, je n'ai pas envie qu'on puisse se dire « putain, elle galère, elle ». Je pense que c'est une question de fierté. Ça peut paraître futile, j'en ai bien conscience. Mais je me sens confiante dans des vêtements qui me plaisent. Alors, pour l'ordinateur, on verra plus tard. Je me débrouille bien avec cet arrangement, de toute façon. Sauf lorsque Aiden fait son ado capricieux.

En sortant d'Histoire, je me rends directement à la bibliothèque. Je pénètre dans la salle en la balayant du regard, et je marque un temps d'arrêt dans l'encadrement de la porte. Oliver est assis dans un coin de la salle, le nez plongé dans des fiches de révision. Je m'en doutais un peu, puisqu'il est presque systématiquement au rendez-vous. Le mercredi, il n'a pas entraînement de basket. Alors, à la place, il vient travailler ici.

Les évènements de samedi me reviennent en tête, et je garde les yeux rivés au sol en gagnant une table. J'aurais vraiment dû me la fermer. Du bureau où je me situe, j'aperçois de temps à autre un bout de son visage ou l'une de ses mèches de cheveux, à travers les rayons croulants de livres. Sans bruit, je sors mes cahiers. La salle est tellement silencieuse que je suis presque réticente à appuyer sur les touches du clavier de l'ordinateur. A quelques pas de moi, j'entends les froissements du papier et le grattement d'un stylo contre une feuille. Des petites gouttes de pluie tapotent sur les carreaux des fenêtres. L'air sent la vanille, les livres et la poussière. Après un dernier coup d'œil à la silhouette du garçon à une poignée de mètres de moi, je me plonge dans mon travail.

Je reste assise jusqu'à la fermeture du lycée. Du coin de l'œil, j'aperçois la bibliothécaire rassembler ses affaires. Je m'étire dans ma chaise, les mains entrelacées au-dessus de la tête. Ça doit faire quatre heures que je travaille, sans discontinuer. Mes affaires rassemblées, je regagne la sortie. Oliver est à quelques pas de moi et je m'assure de garder une distance raisonnable entre nous deux. Je sais qu'il m'a remarqué, à la façon qu'ont eu ses épaules de se crisper. Lorsqu'il ouvre la porte, je me glisse à sa suite. Le bruit de nos pas paraît trop bruyant et accentue d'autant plus le silence pesant. Je n'ai pas besoin de m'introduire dans sa tête pour savoir à quoi il pense. Nos esprits sont tous les deux bloqués à l'intérieur du théâtre.

Nous nous arrêtons d'un même mouvement devant l'entrée du lycée. Il pleut des cordes. Je pousse un soupir exaspéré.

– Fais chier, marmonne Oliver à côté de moi.

Après quelques secondes de réflexion, j'enclenche la poignée et une bourrasque de vent humide s'engouffre dans le hall. Derrière moi, Oliver s'insurge.

– Referme, merde !

Je me précipite sous la pluie en prenant soin de l'ignorer. Je cours aussi rapidement que le sol glissant me le permet. L'arrêt de bus est à plusieurs dizaines de mètres de distance, fièrement dressé au milieu des trombes d'eau. La pluie crépite contre mon dos, me coule dans les yeux et détrempe complètement mon sweat-shirt. Je perçois le martèlement de chaussures imprégnées d'eau sur le bitume, et je sais qu'Oliver me suit.

Les touches noiresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant