Chapitre 15

120 15 4
                                    

Oliver

C'est possible, d'étouffer à l'extérieur. Même avec des kilomètres d'oxygène à disposition. Par an, l'être humain est supposé prendre plus de six millions de respirations. Pourtant, j'ai l'impression que la plupart du temps, la majorité de ma cavité thoracique reste vide. Les étoiles ne brillent pas. Elles sont bel et bien là, accrochées au ciel et parfaitement visibles. Pourtant, elles paraissent complètement ternes. Comme si la misère de notre monde de merde était parvenu à les atteindre. Je baisse la tête. Je n'ai plus envie de regarder.

Il est vingt-et-une heures. La fraîcheur de la nuit se fraie un passage entre mon sweat et ma peau, pour venir y déposer des frissons. J'ai froid. Mais je ne rentrerai pas. Plutôt encore dormir dehors. Au moins, j'aurai du bruit dans les oreilles. Et je préfère cent fois mieux avoir à supporter le son désagréable des pots d'échappement et des humains, plutôt que le silence grinçant de l'appartement.

Achille n'est pas là. Il dort chez sa copine. Et je m'en veux. Je mens veux parce que je lui en veux. Je suis vraiment une belle raclure. Il a mis sa vie en pause pour s'occuper de moi pendant des années. Enfin, il vit les choses de son âge et je suis assez égoïste pour le lui reprocher. T'es vraiment un putain de connard. Je sais. J'en ai tellement conscience que parfois, j'ai envie de m'arracher la peau avec mes ongles. Ça allait à peu prêt, pourtant. J'ai passé une bonne journée. Ronan et Will m'ont proposé un basket, alors je les ai rejoints sur un terrain sympa près de chez eux. Nous avons fini par nous chauffer des pâtes chez Ronan et nous les avons mangé devant l'épisode d'une série que nous avions entamé. Chouette aprem'. Sans prise de tête. Pas besoin de vraiment réfléchir, le cerveau un peu off et l'esprit dans la brume.

Je suis rentré chez moi. Achille avait oublié de fermer une fenêtre, alors il y avait des courants d'air. J'ai posé mes clefs, je me suis étalé sur mon lit, j'ai attrapé une clope. Et puis j'ai eu l'impression que les murs de ma chambre se rapprochaient. Le silence sonnait comme un cauchemar et j'en ai eu mal aux tympans. Alors j'ai attrapé trois cachets d'antidépresseurs et je me suis barré, en les avalant sans eau parce que je n'avais pas le temps. Si j'étais resté à l'intérieur, j'aurais explosé en millions de petits morceaux. J'ai marché sans trop savoir où j'allais, occupé à tenter de récupérer un peu de souffle.

Je déambule maintenant dans le quartier en gardant les yeux rivés au sol. Les rues sont relativement vides. Je marche depuis une trentaine de minutes et je n'ai croisé qu'une dizaine de personnes, dont un mec bourré qui vomissait sur un lampadaire. Après un énième frisson, je rabats la capuche de mon sweat noir sur ma tête. Je passe à côté d'un banc. Un truc blanc écaillé, comme on en voit partout ici. Rien de spécial, vraiment. C'est le garçon affalé dessus qui me pousse à ralentir le pas. Je le reconnais tout de suite. Il a la mine sombre et une bière entre les mains. Le reste du pack est posé à côté de lui. Il a déjà fini une canette, qui gît sur le bitume craquelé. Je le détaille en silence.

Aiden ne ressemble pas à Vinny. Ses yeux sont aussi bleus que les siens sont noirs. Il a des traits plus anguleux et une silhouette allongée. Il tient beaucoup de son père. Il me jette un bref coup d'œil, avant de se remettre à fixer le vide. D'ici, j'aperçois ses yeux brillants. Alcool ou larmes ? Sûrement un peu des deux. Je me plante à côté de lui.

– Je peux t'en taxer une ? m'enquiers-je.

Aiden hausse vaguement les épaules sans relever les yeux. J'attrape alors une bouteille, que je décapsule d'un coup de dents. La première gorgée me réchauffe un peu la gorge.

– Tu ne me demandes pas ce que je fous là tout seul à m'enfiler des bières ?

Sa voix est éraillée. J'avale une deuxième rasade, puis je repose la bière entre mes genoux écartés. Je tourne la tête vers lui et je l'observe quelques secondes, en silence. Il est complètement recroquevillé sur lui même : il a les épaules carrées et le dos tellement courbé qu'il a l'air de supporter toute la misère du monde ; le corps presque trop mince d'un ado qui a grandi tout d'un coup ; le teint blafard et l'expression typique d'un gamin qui en a trop vu. Tellement trop qu'il se retrouve à se foutre une bringue en solitaire sur un banc pourri.

Les touches noiresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant